Haute Cour : Fatshi gagne 3 juges mais perd le combat juridique et politique (Décryptage)
En rêvant de la prestation de serment de « ses » trois juges, le chef de l’Etat escomptait une remise à niveau psychologique, une caution de légitimité sur ses ordonnances et une opportunité pour dissoudre le Parlement et déposer le Gouvernement. Le FCC l’a compris et, sans lui faire obstacle, a préféré laisser le chef de l’Etat consommer seul son forfait constitutionnel jusqu’au bout.
Sourire aux lèvres, le V de victoire en l’air, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo fait son entrée « triomphale » dans la salle des congrès du Palais du peuple. Ce mercredi 21 octobre 2020 aura été, pour lui, un jour mémorable. C’est depuis ce jour que le Président de la République tient enfin « ses » trois juges constitutionnels au terme d’une cérémonie de prestation de serment chargée de symboles.
Cependant, que reste-t-il de la grande confrontation d’avant cette prestation de serment et à quoi la RDC est-elle désormais destinée ? Il faut noter qu’au-delà de son caractère purement protocolaire, la cérémonie de mercredi dernier comportait, pour le Président de la République, trois enjeux majeurs autour de sa volonté de pouvoir et de puissance : enjeux psychologique, juridique et politique.
(Re)mise en confiance psychologique : le seul gain de Fatshi mercredi dernier
Par son enjeu psychologique, Félix Tshisekedi avait grandement besoin de cette cérémonie pour se (re) mettre en confiance par rapport à la pression qui ne cessait de croitre sur lui dans cette affaire d’ordonnances malgré le battage communicationnel de ses soutiens. Une pression qui s’est soulignée de plus belle la veille même de cette cérémonie avec la saisine de la Cour constitutionnelle par un groupe de Sénateurs.
Les 48 précédentes heures de cette journée ont été symptomatiques de cette hargne de sortir la tête des eaux. D’abord tenir la cérémonie coûte que coûte au Palais du peuple. Au-delà de son offre comme capacité d’accueil, la bâtisse chinoise incarne les deux chambres du Parlement dont les Présidents et l’écrasante majorité des membres ont choisi d’ignorer la prestation de serment. Aucune obligation légale n’imposait la tenue de cet événement ici et pas au Palais de la nation, par exemple, quitte à restreindre l’assistance, surtout que, pour les tshisekedistes, cette opération ne nécessitait pas de quorum au niveau du Parlement.
Autre symbolique, l’aménagement du podium où le chef de l’Etat a été installé au point central, là même où se tient le bureau de l’Assemblée nationale pendant les plénières. Par le passé ici même, le siège de Joseph Kabila était placé en billet et en retrait.
En fin de compte, la ferveur de la salle aura remis du baume au cœur de Fatshi, et les convives de Limete s’y sont retournés avec l’égo bien en bloc après avoir coassé, des heures durant, injures et quolibets à l’endroit de Joseph Kabila, Mabunda et Thambwe Mwamba. Et c’est tout, car, dans le fonds, la crise est demeurée intacte juridiquement.
L’affluence mitigée des personnalités n’a apporté aucune caution de légitimité escomptée aux ordonnances contestées
Sur l’enjeu juridique, en effet, et même s’ils savaient que la prestation de serment n’avait aucune conséquence sur les contestations de la constitutionnalité des ordonnances de Fatshi nommant les juges constitutionnels. Les affidés tshisekedistes espéraient que cette cérémonie allait inférer ne fût-ce qu’une caution en termes de légitimité pour sauver les meubles, surtout par la qualité des invités attendus.
Au décompte final, il faut reconnaître – foi du protocole –que l’affluence des personnalités aura été bien en-deçà de la moyenne : moins d’une demi-douzaine de diplomates, pas plus de 6 Sénateurs sur 109, plus de 340 députés absents. On ne compte pas l’absence annoncée des Présidents des deux chambres du Parlement. Pas non plus celle du Premier ministre, celui-là même qui avait été chargé par le Président Tshisekedi de « prendre toutes les dispositions pour une tenue correcte » de cette cérémonie. Derrière Sylvestre Ilunga, une bonne quarantaine des membres de son Gouvernement ont également décliné l’invitation du Protocole d’Etat.
Bref, cette caution escomptée n’est pas venue, et le fonds juridique de l’affaire est demeuré entier. A la rigueur, on dirait, sur ce volet, que le camp FCC a pris un point précieux sur le chef de l’Etat et son bataillon avec l’officialisation de l’affaire qui venait d’être portée la veille en justice par la saisine de la Cour constitutionnelle.
Tshisekedi visait une crise entre le Gouvernement et l’Assemblée pour une dissolution, le FCC l’a esquivé
Sur le volet politique, il ne se fait aucun mystère que Félix Tshisekedi avait mis deux fers au feu avec cette prestation de serment. Sans détour, l’agenda projetait, d’une part, la réunion des conditions pour lui permettre de dissoudre l’Assemblée nationale et, de l’autre (ou à défaut), obtenir la démission du Gouvernement. Ce faisant, le chef de l’Etat aurait eu l’opportunité de nommer un informateur pour identifier une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale, majorité à constituer à coup de ce que l’on sait, en jouant sur la corde des déçus que l’on dit peupler les rangs du FCC. Le tour ainsi joué, Félix Tshisekedi allait devenir seul maître à bord dans un Etat désormais « mono-institutionnel » évoqué par un confrère.
Seulement, le camp adverse ne lui en a pas donné l’opportunité. D’abord, personne, au sein du FCC, ne s’est opposée formellement à la tenue de la cérémonie de prestation de serment. Aucun moyen légal ne le permettait, surtout pour ce camp qui bataille justement sur la légalité des actes du chef de l’Etat. A la limite, l’Assemblée nationale avait les moyens de refuser l’accès à ses installations, conformément à l’article 7 de son règlement intérieur. Il suffisait d’une plénière de la conférence des Présidents, à majorité FCC, pour donner le blanc-seing nécessaire à Mabunda et le tour aurait été joué.
Face donc à ce coup politique, la majorité électorale aura préféré laisser Félix Tshisekedi poursuivre sa croisade pour consommer seul son forfait juridique jusqu’au bout. Et ils semblent avoir réussi leur coup.
Quant à la crise escomptée entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale pour trouver le prétexte de dissoudre cette dernière, Félix Tshisekedi l’avait bien projetée en désignant le Premier ministre et le Ministre chargé des relations avec le Parlement d’organiser la prestation de serment. La désignation même de Déo Nkusu donnait l’indication sur l’intention de ce choix transmis dans l’une des communications du chef de l’Etat qui sont des points d’information n’appelant pas de débat ni de délibération au Conseil des ministres.
Sylvestre Ilunga se prend une belle revanche
Connaissant l’opinion de Sylvestre Ilunga sur ces ordonnances signées en son nom et à son insu, les stratèges de Fatshi espéraient qu’il se cabre pour asseoir la thèse d’une crise sus-évoquée. Seulement, il se fait que le Gouvernement et l’Assemblée nationale (qui a, du reste, fait la sourde oreille à la lettre du Dircab Eberande) ont émis sur la même longueur en refusant de se mêler de cette affaire. Les calculateurs du chef de l’Etat devaient pourtant s’y attendre en sachant que la majorité parlementaire est celle dont émane le Gouvernement.
Du reste, Sylvestre Ilunga n’avait aucune obligation légale de faire droit à la demande du Président de la République qui n’est pas à confondre avec une résolution ou décision du Conseil des ministres, malgré la formule contenue dans le compte-rendu et qui (la formule) n’a nullement reflété ce qui s’est réellement dit. De même, il n’existe aucune disposition légale imposant des obligations à l’exécutif national dans l’organisation des cérémonies protocolaires, fussent-elle des prestations de serment des juges constitutionnels. Cet exercice relève de la seule compétence du protocole d’Etat.
On retiendra alors que, sur ce volet politique de l’enjeu de la prestation de serment, le FCC aura glané un autre précieux point. En définitive, l’on retiendra que si Félix Tshisekedi a pu recevoir le serment de « ses » juges constitutionnels dans une cohue de ses militants hystériques, le problème de fond est demeuré intact. Ou plutôt, il s’est corsé avec l’officialisation, dans la même encablure de temps, de la problématique de l’inconstitutionnalité des ordonnances présidentielles.
Désormais donc, l’affaire est entre les mains de la justice. Même si personne ne se fait d’illusion sur l’issue probable quand on sait que les juges contestés sont les mêmes qui vont siéger sur leur propre sort. Même si on sait aussi que l’affaire ne devra pas passer comme une lettre à la poste lorsque l’on entend des sonorités à la Cour constitutionnelle où certains anciens juges auraient décidé de ne pas siéger avec les nouveaux.
Albert Osongo sur http://nouvellerepublique-rdc.net/?p=874

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