En RDC, Joseph Kabila met Félix Tshisekedi en garde : « Tôt ou tard, la supercherie sera évidente pour tous »

Dans une déclaration consultée en exclusivité par Jeune Afrique, l’ancien président réagit pour la première fois au réquisitoire de l’auditeur général qui a demandé la peine de mort contre lui à l’issue de son procès. Il dénonce « des accusations mensongères » et un pouvoir « incapable d’assumer la responsabilité de ses échecs ».
Joseph Kabila n’avait plus repris la parole depuis le 23 mai dernier, date de sa première allocution depuis son départ du pouvoir en 2019. Après son arrivée à Goma, ville sous contrôle des rebelles du M23, et la tenue sur place de consultations dont les conclusions n’ont pas été rendues publiques, l’ancien président congolais s’était à nouveau muré dans le silence.
C’est dans une déclaration, que Jeune Afrique a pu consulter, que Joseph Kabila a décidé de s’exprimer. Comme lors de ses précédentes interventions, il y multiplie les charges contre son successeur, Félix Tshisekedi. S’il dit ne pas craindre « pour [son] propre sort », il évoque pour la première fois le procès qui le vise depuis le 25 juillet. Jugé par contumace par la Haute cour militaire, l’ancien président est notamment poursuivi pour « trahison », « participation à un mouvement insurrectionnel », « viol » et « torture » en lien avec son soutien présumé à la rébellion. Le 22 août dernier, l’auditeur général a requis la peine de mort à son encontre. Le jugement est attendu dans les prochains jours.
« Aucun élément de preuve n’a été présenté »
Dans sa déclaration, le raïs dénonce des « accusations mensongères et politiquement motivées » de la part d’un pouvoir « désespéré et incapable d’assumer la responsabilité de ses échecs ». « Aucun élément de preuve n’a été apporté pour soutenir ces accusations », affirme-t-il. Selon lui, ce procès s’inscrit dans une « stratégie pour faire taire l’opposition dans son ensemble », « écarter un leader majeur de la scène politique » et « permettre au régime de gouverner sans contestation et indéfiniment ».
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Joseph Kabila ne s’arrête pas là puisqu’il dresse également un parallèle entre sa situation et celle des nombreux officiers arrêtés et actuellement auditionnés dans le cadre de l’enquête sur la « débâcle » de l’armée congolaise dans l’est de la RDC. « Ce sont les symptômes d’une crise plus profonde de leadership. Ces hommes, qui ont consacré leur vie à la défense de notre nation, sont ainsi désormais qualifiés de comploteurs », fustige-t-il. Selon lui, cette « purge » qui « sape le moral des troupes et menace la sécurité de l’État » n’aurait pour objectif que d’éliminer les gradés soupçonnés de lui être fidèles. « Un leader qui emprisonne injustement ses propres généraux et officiers supérieurs ne renforce pas la République, il la déstabilise », tacle l’exprésident. Au cours de sa précédente prise de parole en mai dernier, il avait déjà regretté que l’armée serve de « bouc émissaire des contre-performances enregistrées sur le champ de bataille ».
Joseph Kabila en profite pour accuser le président, ainsi que sa famille et ses alliés, de vouloir détourner l’attention de la corruption au sommet de l’État. « Les procès, arrestations et persécutions […] visent à consolider le pouvoir, à éliminer l’opposition et à distraire l’opinion publique de la corruption et de l’insécurité omniprésente, estime-t-il. Persévérer dans cette voie […] ne fera qu’approfondir les divisions et affaiblir le Congo. »
Kabila, « un chef de guerre qui défend ses hommes »
Contacté par Jeune Afrique, Jacquemain Shabani, vice-Premier ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, accuse Joseph Kabila de vouloir « distraire l’opinion » avec cette nouvelle prise de parole. Selon lui, l’ancien président ne fait plus partie de l’opposition républicaine. « Il est le chef de la rébellion, c’est établi », accuse-t-il. Et si Kabila soutient les officiers actuellement emprisonnés, poursuit-il, c’est parce que ces derniers auraient « comme lui, choisi de trahir la République ». « Kabila est un chef de guerre qui défend ses hommes », balaye Jacquemain Shabani qui accuse l’ex-président d’être luimême responsable du pillage des ressources du pays.
Cette nouvelle prise de parole de Joseph Kabila confirme la profondeur du fossé qui le sépare désormais du régime actuel. L’offensive médiatique qui avait précédé son retour à Goma en mai avait déjà pour but de lui permettre de se positionner parmi les acteurs à même de peser dans les tractations politiques et diplomatiques. Pour le moment, elle a eu un effet limité.
En conclusion de sa tribune, l’ex-président continue malgré tout de plaider pour un dialogue « réunissant toutes les parties prenantes » : « Sans cela, le Congo restera piégé dans des cycles récurrents de violence. » « La réconciliation nationale ne sera pas atteinte grâce à ces accords ou des procès sélectifs », estime-t-il. Mais ce projet de dialogue patine, en dépit de la publication le 25 août d’une feuille de route des Églises catholique et protestante.
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Félix Tshisekedi s’est à nouveau exprimé sur le sujet le 30 août, face aux membres de sa majorité. Il a réaffirmé qu’un éventuel dialogue n’aurait lieu « qu’à sa propre initiative » et sans les « Congolais inféodés au diktat des pays voisins ». Une manière implicite de rejeter toute discussion avec son prédécesseur qu’il accuse de complicité avec le M23 et ses soutiens rwandais.
« Croyez-vous que ce dialogue va concerner des gens qui ont le sang des Congolais sur leurs mains ? » semble confirmer auprès de Jeune Afrique Jacquemain Shabani.
Face à la menace d’une impasse, Joseph Kabila conclut par une mise en garde. « Si ces politiques mal avisées sont maintenues, les conséquences dramatiques qui en résulteront seront de la seule responsabilité du régime actuel. Tôt ou tard, la supercherie sera évidente pour tous, le jugement du peuple impitoyable. »
Par Jeune Afrique