PERO LUWARA : TU QUOQUE MI FILI ?
Cette phrase prononcée par Jules César, voyant parmi ceux qui sont venus le tuer, son fils Brutus, a tout son sens dans la désormais célèbre « affaire Péro Luwara ».
Remontons à 2004. Frederic Kitengie Kinkumba et moi-même, avons la lourde tâche de créer une télévision numérique, Digital Congo Télévision. Nous nous mettons à recruter des jeunes journalistes. Parmi eux, Salomon Bimansha, Flor Nzala, Blaise Zahinda, Pacy Pwanga, Giscard Kusema,, Yvon Muya, Sarah Fany Da Cruz (RIP) et bien sûr, Péro Luwara qui n’était qu’en deuxième graduat à l’IFASIC. Etudiant et journaliste à temps plein, son pécule l’aidera à faire des études dans de bonnes conditions.Ministre de la Communication et des médias, j’avais négocié avec le gouvernement français, le déploiement d’une équipe de formateurs dans le numérique à l’ICA, l’Institut Congolais de l’Audiovisuel dans l’enceinte de la RTNC, l’ancienne SEVOZA, Studio Ecole de la Voix du Zaire, qui a eu en son temps à recycler les anciens de la trempe de Ngongo Kamanda, Chantal Kanyimbo, Kasongo Mwema Yamba Yamba, Mikombe Wakashi Mpolo, Ghislain Tshilonda Tsha Mulamba (RIP) Jean Pierre Kibambi Shintwa, Kwebe Kimpele…Parlant de Kwebe Kimpele, un de nos jeunes nous le rappelle. Ce jeune c’est Péro Luwara. Et Freddy de me confier, Péro sera le Kwebe de Digital. Et le jeune le deviendra. Au propre comme au figuré.
Hier adulé par l’Udps quand il s’en prenait à la famille biologique et politique de Joseph Kabila, aujourd’hui traqué par le même parti pour outrage au chef d’Etat Félix Tshisekedi, Pero Luwala est bien malgré lui obligé de faire la même expérience que de nombreux acteurs ayant flirté avec la 10ème rue.
Il paraît qu’il serait déjà en Suisse, et le scoop est livré, tenez bien !, par un agent de la presse officielle du président de la République, inconscient de l’effet boomerang sur l”institution.
Aujourd’hui, Pero Luwara a maille à partir non seulement avec les tenants du pouvoir, mais aussi avec la confrérie qui n’apprécie pas sa dernière sortie médiatique, la veille même de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Aurait-il choisi cette date pour son coup médiatique ? Pour l’instant, il n’y a que lui à le savoir. Ce qui est du moins connu de l’opinion publique, c’est qu’un mandat d’amener le concernant est en circulation dans les réseaux sociaux, et les communicateurs officiels (ministres, président du Csac, président de l’Unpc) délient leur langue pour stigmatiser ses propos.
Depuis ce jeudi 5 mai 2022, sa carte officielle de membre de l’Unpc vient d’ailleurs de lui être retirée. Or, c’est le jour même où il devrait comparaître devant le tribunal des pairs pour y être entendu à 10h00.
Pour ne s’y avoir pas présenté, il a carrément été sanctionné le même jour. Comme si l’Unpc avait reçu instruction de précipiter la procédure de radiation.
Pourtant, les mêmes officiels sont restés bouche cousue lorsqu’un certain Christian Bosembe a dit pire sur sénateur à vie. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’infraction d’outrage à chef d’État honoraire.
De toutes les façons, on verra ce qu’ils feront dans 2 ans si jamais Fatshi devenait le deuxième sénateur à vie.
Bête noire…
Dans la tonalité et la volubilité, je l’ai déjà dit, Pero Luwara rappelle Kwebe Kimpele : même prestance dans la forme comme dans le fond et, même cible politique, à savoir la famille politique et biologique du Chef de l’Etat.
Passant à un moment pour mobutiste notoire, Kwebe avait usé de son droit d’ingratitude en jetant le doute sur la congolité du maréchal Mobutu. Il lui aurait trouvé des origines plutôt togolaises et congo-brazzavilloises. Depuis, les Mobutistes le traitent en traître. Ça semble ne lui faire ni chaud, ni froid.
Quant à Pero Luwara, hier kabiliste, il a usé lui aussi de son droit d’ingratitude. Il paraît qu’il en veut sérieusement à Jaynet Kabila pour un problème d’arriérés de salaire et d’indemnités de sortie non payées. Quant à moi, il s’est adonné à cœur joie pour me vilipender dans ce dossier politique monté de toutes pièces pour me faire taire définitivement, comme beaucoup d’autres avant moi. Aux oubliettes les belles années du jeune étudiant en journalisme de l’IFASIC à qui j’ai donné l’emploi qui l’a formé. Chassez le naturel, il revient au galop, dit on.
Ainsi, hier, il avait le soutien de toute la communauté Udps qui trouvait en lui le modèle de journaliste dont le pays avait besoin pour combattre les antivaleurs, la dictature.
Pendant que les hommes et femmes du pouvoir Kabila stigmatisaient ses “coups de colère “, les hommes et femmes de l’opposant Tshisekedi s’en réjouissaient. Ils saluaient son courage même dans la désacralisation de l’Autorité de l’Etat. Personne ou presque ne condamnait ce qui était réellement des actes d’outrage à la personne sacrée du chef de l’État.
Et voilà que, refaisant sur Félix Tshisekedi ce qu’il faisait sur Joseph Kabila, les chantres du changement radical montent maintenant au créneau et le diabolisent à outrance au point de lui lancer une fatwa !
Serait-ce là une façon de dire aux Congolais que le Président de la République est perçu différemment, selon que l’on soit du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, voire du Centre. Ou plutôt de la Majorité, de l’Opposition ou du Centre ?
Si c’est de cette manière que l’ex-Opposition devenue Pouvoir conçoit la gestion de la Res publica, alors le Congo va devoir encore peiner pour sortir de l’auberge.
Et là, le vainqueur – puisqu’il faut qu’il y en ait un – c’est Pero Luwara qui aura prouvé – pour paraphraser la Bible – que ” Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur qui entreront dans le royaume des cieux “, entendez ceux qui n’avaient dans la bouche que ” changement, élections libres, respect des droits de l’homme ” sont réellement des démocrates.
Robots
Pero Luwara est en train de démontrer que les droits de l’homme et la non-violence prônés par l’Udps au cours de ses 37 ans de lutte politique n’auront été qu’un leurre pour consommation politique.
Et là, les Udepesiens sont en train de ruiner dans l’opinion nationale et internationale l’image de Félix Tshisekedi.
En effet, lorsqu’on analyse celles des réactions développées à l’encontre de Pero Luwara pullulant dans les médias – surtout de la part des communicateurs plutôt jouisseurs qui squattent les réseaux sociaux – il s’avère que plus on s’approche de l’échéance électorale 2023, plus la nervosité s’installe dans le camp du pouvoir avec des “appels au meurtre ” à l’endroit de tout journaliste qui ose critiquer le régime.
Ainsi, quand on ne demande pas à la justice de se saisir du dossier ou à l’Unpc d’invalider les récalcitrants (c’est fait pour Pero Luwala), on incite la base de Limite à défendre la Patrie qui, elle, n’existe dans leur entendement que depuis 2019. Ou, depuis la rupture Fcc-Cach.
Pire, on réclame des services de sécurité une interpellation avec un argument qui vole trop bas : outrage à chef d’Etat ! Et on diffuse un mandat de recherche avec photo de l’intéressé.
La conclusion à tirer est qu’une violation de la loi reste une violation de la loi, quelle que soit la période ou la circonstance.
Bilan
Que ceux qui veulent faire taire Pero Luwala ne sortent pas du terrain.
Quand Pero fait le buzz avec les eaux de pluie ayant envahi l’aéroport international de Ndjili, la réponse appropriée n’est pas de lui imposer le silence de force. C’est de lui prouver que le phénomène d’inondation se produit dans le monde.
Ou si Pero Luwara fait constater que telle route est mal faite, on n’a pas besoin de s’en prendre à lui en rappelant qu’il s’agit d’une voie restée en l’état depuis 50 ans !
Ou encore lorsqu’il se plaint de la politique de deux poids deux mesures observée dans le traitement discriminatoire par l’Igf des dossiers impliquant des gouvernementaux ou des mandataires publics selon qu’on soit Fcc ou Cach, Pero Luwara ne mérite pas une claque ! On doit lui opposer les preuves du contraire. Et si ces preuves n’existent pas, on se tait ! On ne brandit pas la parade du genre ” journaliste pro-Katumbi ” ou journaliste ” pro-Kabila “.
S’agissant des journalistes pro-ceci, pro-cela, on sait depuis les années Mobutu que l’Udps n’a eu de cesse de jouir du phénomène ethnotribal dans les médias. L’actuelle presse présidentielle grouille de communicateurs dont la production est faite à 90 % d’injures à l’égard de tout acteur politique qui dénonce les écarts du régime alors qu’ils ont le devoir de présenter et de défendre les réalisations du Chef de l’État.
Assimilés à tort ou à raison aux robots communicants, ces journalistes vont même jusqu’à récupérer les projets négociés sous Kabila pour les mettre au crédit de Félix Tshisekedi. Ils courent tellement après des projets qu’ils s’emparent même du pont Mpozo II, à Matadi, inauguré pourtant en 2011 !
Lorsqu’on veut s’approprier de tout, c’est qu’on est prêt à en assumer toutes les conséquences dont celles de l’inondation des installations aéroportuaires de Ndjili.
A propos de cet aéroport, seuls les robots communicants de Fatshi ignorent que le bâtiment et le charroi anti-incendie ont été inaugurés le 25 juin 2015 !
C’est tout de même surprenant qu’ils veulent faire croire à l’opinion que cette acquisition est une première depuis 1997 alors que les opposants à Joseph Kabila passent par cette voie pour se rendre à l’étranger et en revenir en toute sécurité…
Mike Hammer aujourd’hui, Henri Mova hier…
Qu’il soit en cavale ou non, Pero Luwara – on vient de le dire – est le grand gagnant de la traque qu’on lui fait aujourd’hui.
Même Mike Hammer, fin mandat, a déclaré à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de presse : “Aucun membre de la presse ne devrait être intimidé, menacé ou attaqué par quiconque pour quelque raison que ce soit, ou être arrêté pour avoir simplement fait son travail ”.
Si un pays de l’Union européenne ou de l’Otan lui accorde le droit d’exil, Pero Luwara aura marqué un but qui va faire très mal à Félix et aux siens. Un coup qui va discréditer le président de la République, le gouvernement, le Csac et l’Unpc, tous désormais unis contre un des leurs… Quant à Digital Congo Télévision, ce fut une belle aventure au point d’inscrire une page rose dans l’histoire de la corporation journalistique congolaise, le mariage de Flor Nzala et Pacy Pwanga. Cerise sur le gâteau, Henri Mova Sakanyi qui a dirigé le Ministère de la Communication et Presse après mon passage et celui de Vital Kamerhe, coupera le ruban symbolique inaugural de la station de Binza Delvaux avec cette métaphore restée gravée dans notre mémoire collective : « Il y a des enfants qui marchent dès leur naissance, ils font l’apprentissage à balles réelles et rivalisent d’ardeur avec plus capés qu’eux et s’en sortent victorieux. Tel est me semble-t-il, le destin voué à Digital Congo ».
Barnabé KIKAYA Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
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