Propositions de lois Minaku-Sakata : l’obstruction politique en marche

Après la publication de l’arrêt du tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe dans l’affaire opposant la République à l’ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat Kamerhe et cie, les phares de l’actualité se focalisent sur les trois propositions de loi se rapportant au pouvoir judiciaire que les députés Aubin Minaku et Garry Sakata ont produites et présentées à l’Assemblée nationale. Sur base des copies distribuées par l’administration de la chambre basse aux députés nationaux pour préparer les débats à venir sur ces trois documents, des commentaires d’ordres divers suivis des menaces même physiques ont été entendus de toute part. Certains dénoncent la tentative de caporisation du pouvoir judiciaire par l’exécutif à travers des pouvoirs élargis attribués au ministre de la justice. Ils voient ainsi la violation flagrante de la constitution, en son article 220 qui met une barrière à toute réforme touchant l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le parti présidentiel, Udps, a tenu à cet effet une réunion extraordinaire après laquelle il a demandé à ses militants dits majorité populaire de barrer la route à ces propositions de lois. Ce qui a poussé une centaine de motards dits wewa à se mobiliser devant le palais du peuple, ce mardi 23 juin pour empêcher les députés à se réunir pour statuer sur les trois propositions de loi. Lamuka a aussi réagi.
Dans le camp des auteurs de ces lois, on s’étonne des mensonges véhiculés autour de ces propositions de loi. ‘’Dans aucune de trois propositions de lois, il n’est dit que le ministre de la Justice peut demander à chaque instant aux procureurs de mettre fin à leurs enquêtes préjuridictionnelles. Nulle part il n‘est proposé que la nomination des procureurs ou des magistrats du ministère public passe par le parlement. La nomination de tous les magistrats de la République Démocratique du Congo est de la compétence constitutionnelle du Chef de l’Etat sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Nulle part il n’est soutenu que le ministre de la Justice doit devenir président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce qui serait une violation grave de la Constitution’’.
Le secrétaire général adjoint de l’Udps Ferdinand Kambere, intervenant sur Top Congo, dénonce le ridicule. ‘’Je demande aux gens de laisser le parlement mener un débat là-dessus. C’est vraiment malheureux. Cette façon de recourir toujours à la rue est une menace contre la démocratie’’.
Mais que figure exactement dans ces propositions de lois ? Me Jean-Clavien TSHIBWABWA y relève quatre innovations :
Primo : La préservation de toutes les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature. Seule une révision constitutionnelle peut changer les principes relatifs à l’organisation et au fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Secundo : La concrétisation de l’interrelation entre le ministre de la Justice et les magistrats du Parquet conformément à l’esprit de la Constitution et de la Loi par l’institution d’une Conférence des Procureurs. En effet, c’est un mécanisme permettant des échanges entre l’organe chargé de la définition et de la conduite de la politique pénale de la Nation (article 91 de la Constitution) et l’organe de la Loi (Ministère Public).
Tertio : Le renforcement du rôle de l’Inspectorat général des services judiciaires et pénitentiaires pour appuyer la discipline et lutter contre la corruption et d’autres pratiques illégales au sein de la magistrature.
Quarto : La possibilité pour le ministre de la Justice qui est souvent saisi par les justiciables (population) contre des cas d’injustice commis à répétition par certains magistrats, de prendre des mesures préliminaires et conservatoires avant de saisir rapidement le Conseil Supérieur de la Magistrature pour des poursuites disciplinaires.
En conclusion, Me Tshibwabwa retient de la démarche de ces deux élus, Aubin Minaku et Garry Sakata, professeurs de droit, qu’elle tend simplement à conformer les trois lois devenues anachroniques à l’article 149, alinéa 2 de la Constitution de la République telle que révisée en 2011.
Toutes ces trois propositions de lois sont conformes à la lettre et à l’esprit de la Constitution de la RDC. Et il cite l’exemple de la France où le parquet est subordonné à l’exécutif qui définit et conduit la politique de la Nation.
En suivant les uns et les autres et après lecture de la constitution, des interrogations s’imposent sur la marche de notre démocratie. Chaque fois que le parti Udps, de surcroit présidentiel, veut exprimer sa désapprobation d’une loi ou une activité parlementaire, il utilise des méthodes anti-démocratiques, envoyant les motards wewas venus récemment de Mbujimayi, chef-lieu de la province d’origine du chef de l’Etat, pour bloquer les entrées du palais du peuple et intimider les députés nationaux. Ce qui rappelle les activités des CVR (Corps des volontaires de la Révolution) du président Mobutu dans les années 1966-1967 avant de dissoudre le parlement et toutes les institutions et imposer le MPR (Mouvement populaire de la Révolution) comme parti unique. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo veut-il ramener le pays au parti unique ? L’intolérance politique et le refus du débat démocratique par ce parti laissent penser à un pareil scénario. Toutefois, il y a lieu de savoir que les temps Mobutu de la guerre froide est bien loin des réalités politiques du moment.
Que dit la Constitution ?
Trois articles sont susceptibles d’être lus pour une bonne compréhension et l’opportunité ou pas de ces trois propositions de loi. Il s’agit des articles 220, 149 et de l’exposé des motifs de la constitution telle que modifiée en janvier 2011.
» Article 220 : La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle. Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées.
Article 149 de la Constitution: Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est dévolu aux cours et tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire ainsi que les Cours et Tribunaux civils et militaires ».
Exposé des motifs: 4. L’article 149. L’amendement introduit à cet article consiste en la suppression du Parquet dans l’énumération des titulaires du pouvoir judiciaire. Celui-ci est dévolu aux seuls cours et tribunaux. Cet amendement remet ainsi en harmonie l’article 149 avec les articles 150 et 151 qui proclament l’indépendance du seul magistrat du siège dans sa mission de dire le droit ainsi que son inamovibilité ».
Par Tshibambe Lubowa sur http://nouvellerepublique-rdc.net/?p=301