PLAIDOYER POUR LA COALITION

Les concertateurs de Sun City étaient unanimes : il fallait à tout prix éviter qu’il n’émerge au Congo, un homme fort de la trempe de Mobutu Sese Seko qui a dirigé le pays trente deux ans durant d’une main de fer. Soutenu par les partenaires occidentaux et les organisations internationales, cet état d’esprit a prévalu dans l’Accord Global et Inclusif qui a sanctionné ces assises le 17 décembre 2002. C’est ce qui inspirera par ailleurs le constituant en écrivant l’article 91 de la Constitution qui détermine de manière claire, la division des pouvoirs entre le Président de la République et le gouvernement, entendez par là, le Premier Ministre. Pour ce qui est des Assemblées électives au suffrage universel, le système électoral de la proportionnelle procède de la même logique. Aucun Parti politique ne peut seul détenir la majorité à l’Assemblée Nationale ou dans les Assemblées provinciales. Ceci pour permettre à la RDC d’être représentée dans sa diversité à la représentation provinciale ou nationale. Et pour peser dans ces institutions, il faut à chaque fois se constituer en alliances ou en coalitions. C’est cela la RDC.
Du « 1+4 » en 2003 à la coalition FCC-CACH depuis 2019, en passant par la coalition AMP-PALU-UDEMO en 2006 et MP-UDPS en 2016-2018, Joseph Kabila est resté constant. Il a gardé à l’esprit le concept « coalition » sous entendu dans cet accord et dans
l’Acte final du Dialogue intercongolais signé en avril 2003 à Sun City. Sous diverses formes, il s’y est impliqué dans la gestion de l’ordre institutionnel.
Maintenant que le pouvoir a changé de mains, il faut que les nouveaux détenteurs de l’impérium interprètent dans leurdimension deux actes d’Etienne Tshisekedi et Félix Tshisekedi en douze ans de différence. Le premier, en tant que signataire de l’Accord global et inclusif dont, d’ailleurs, il était l’un des protagonistes clés. Le second, en tant que secrétaire national chargé des Relations extérieures, du fait d’avoir reconnu le 2 septembre 2014 que «…notre système électoral est fait de telle sorte qu’aucun parti ne peut atteindre seul la majorité des sièges au Parlement ». Une façon courageuse, quoique subtile, d’avouer qu’il est impossible pour un parti de gouverneur seul.
« Jamais deux sans trois » : AMP, MP, FCC
Nous venons de le voir, c’est à Sun City qu’est né le fondement du système de coalition dans la gouvernance institutionnelle en République Démocratique du Congo. Sun City, faut il le rappeler, a mis fin à des années de guerre et à une balkanisation quasi certaine du territoire national. L’histoire renseigne qu’après la récupération et l’intégration des entités Rcd-N, Rcd-Kml et Maï-Maï, le Dialogue intercongolais a prévu une Transition sous le régime « 1+4 » avec Joseph Kabila Président de la République certes, mais aussi avec des Vice-Présidents de la République Azarias Ruberwa en charge de la Défense et de la Sécurité, Jean-Pierre Bemba en charge de l’Economie et Finances, Z’Ahidi Arthur Ngoma du Social et Yerodia Abdoulaye Ndombasi en charge de la Reconstruction.
Ce régime va fonctionner du 30 juin 2003 (date dedémarrage de la Transition) au 6 décembre 2006 (date d’investiture du premier Président de la République issu des premières élections au suffrage universel direct en 56 ans d’indépendance).
Joseph Kabila avait fait preuve de sagesse en restant dans le schéma voulu par toute la classe politique ainsi que la communauté internationale pour son pays : celui d’un Chef d’Etat aux pouvoirs réduits puisque partagés avec non seulement des Vice-présidents, mais aussi avec l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement.
Aussi, le cadre des élections de 2006, va-t-il initier une large plateforme électorale dénommée « Alliance pour la Majorité Présidentielle », en abrégé « AMP ». Il n’hésitera d’ailleurs pas, en prévision du second tour inéluctable, de former une coalition avec le Palu d’Antoine Gizenga réputé de Gauche et l’Udemo de François-J. Nzanga Mobutu réputé de Droite. Ce deal, il va le respecter jusqu’à l’échéance de 2011.
Dans le cadre de l’échéance 2011, toujours respectueux de l’esprit et de la lettre du Dialogue inter-congolais – il mettra sur pied la coalition dénommée « Majorité Présidentielle » (MP) en gardant le Palu et en l’ouvrant à d’autres forces et à d’autres personnalités de l’Opposition et de la Société civile.
« Jamais deux sans trois » : même se sachant fin mandat en 2016, il va commencer à imaginer une nouvelle plateforme davantage ouverte à d’autres forces et personnalités encore de l’Opposition et de la Société civile. Il s’agit du Front Commun pour le Congo (FCC).
L’UDPS, toujours égale à elle même.
Ici, commencent les interrogations sur l’objectif du combat démarré formellement en 1982 avec la transformation de l’Udps en parti politique, mais en réalité enclenché en novembre 1980 avec la Lettre des 13 Parlementaires.
Dans cette lettre – dont la rationalité de l’argumentation reste inégalé – est fait l’état des lieux de la République, domaine par domaine. Paradoxalement, dans son comportement, le leadership du Parti agira comme s’il n’était pas disposé à soigner le malade Zaïre. Ou plutôt comme s’il était résolu à ne le soigner que seul ! Trois fois, entre 1990 et 1997, ils auront la Primature, trois fois ils feront exprès de la perdre.
Pire, bien que l’un des bénéficiaires du soutien del’Occident au Dialogue inter congolais, l’UDPS déconcertera tout le monde en s’abstenant de participer au « 1+4 » et aux élections de 2006. D’ailleurs, il boycottera le référendum constitutionnel de 2005.
Pour la première fois qu’il se résoudra à participer à un cycle électoral en 2011, il remettra en cause la lettre et l’esprit de la coalition imposée pourtant à Sun City par les Occidentaux. En janvier de cette année électorale, Etienne Tshisekedi, candidat du Parti aux présidentielles, tentera le rapprochement, mais non sans agacer ses partenaires éventuels : « j’ai contacté les autres candidats de l’opposition ; nous sommes en train de nous entendre, afin que seule ma candidature soit reconnue et soutenue », largue-t-il.
A la différence de son père demeuré droit dans ses bottes, c’est encore Félix Tshisekedi qui se montre plus ouvert. Il admet qu’il se pliera à la volonté du peuple si ce dernier venait à imposer le partage du pouvoir avec Joseph Kabila via les élections.
Schéma alternatif ?
Le peuple, lui, s’est exprimé le 30 décembre 2018, et la coalition Cach-Fcc ou Fcc-Cach est aujourd’hui réalité.
Qui sont cependant ceux qui s’y opposent autant du côté de Joseph Kabila que du côté de Félix Tshisekedi ? Pas de doute : des radicaux, des radicalisés, pour paraphraser l’autre. Desfemmes et des hommes restés réfractaires à tout partage du pouvoir même issu de la volonté populaire. Les uns du fait de ne pas y trouver leurs comptes, les autres du fait de l’incapacité d’adapter leur discours d’opposant à celui de gouvernant.
Ces compatriotes agiraient de la même façon, que ce soit pour une coalition Cach-Lamuka ou Fcc-Lamuka. Ils prétexteraient des divergences idéologiques, de la durée de la lutte politique, des humiliations subies, des trahisons vécues, du respect de la mémoire des victimes. Raison pour laquelle l’impératif de les neutraliser s’impose.
C’est à ce stade qu’il y a lieu d’interpeller les partenaires occidentaux et de la Communauté internationale. Ils ont tracé pour Kinshasa un schéma. Joseph Kabila se l’est appliqué les 16 ans au cours desquels il a été chef d’un État réuni grâce au Dialogue de Sun City. Il a respecté la volonté du peuple congolais exprimée au moyen des élections du 30 décembre 2018. Il est en train d’accompagner son successeur Félix Tshisekedi, celui-là même qui avait eu la lucidité et la sagesse de considérer que dans le contexte constitutionnel actuel, il est impossible pour un parti politique de gagner seul les élections. Et, lors de leur rencontre du 13 mars 2020 à Nsele, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi ont convenu de réserver à leurs niveaux les questions communes relatives à la coalition.
Au moment où Lamuka entend jouer pleinement son rôle d’Opposition – d’ailleurs, elle vient d’en faire la démonstration avec le vote de déchéance de Jean-Marc Kabund – les Occidentaux devraient prendre acte de l’existence de la coalition Fcc-Cach et accompagner Félix Tshisekedi à réussir son mandat, si réellement le soutien exprimé à son égard est vrai.
Ce serait injuste, de leur part, de commencer à torpiller la troisième coalition issue des urnes après qu’ils aient malmené les deux premières alors qu’ils en sont les architectes.
On serait amené à croire dans l’existence d’un autre schéma.
