“Les enfants n’étaient pour elle qu’une marchandise”: Julienne Mpemba condamnée à 10 ans de prison, la Communauté française égratignée
Le jugement est tombé dans la saga des “enfants volés du Congo”.
Enlèvement, prise d’otages, corruption, faux, escroquerie : les préventions retenues par le tribunal correctionnel de Namur contre Julienne Mpemba, une ancienne juriste de la Région wallonne qui gérait un orphelinat au Congo d’où des enfants ont été adoptés en Belgique, sont lourdes. Elles lui ont valu jeudi une condamnation à dix ans de prison.
Mais la sécheresse des intitulés des préventions ainsi que la peine ne rendent pas compte de la complexité de ce dossier dit des “enfants volés du Congo” dans lequel il ne pourra y avoir ni gagnants, ni perdants tant les dimensions humaines sont douloureuses.
Julienne Mpemba était seule sur le banc des prévenus. Elle est donc la seule condamnée mais, dans son jugement, le tribunal a plus qu’égratigné la Communauté française, relevant “sa mansuétude coupable” et “son aveuglement” dans le dossier.
Un orphelinat contesté
Julienne Mpemba avait créé l’orphelinat Tumaini au Congo en 2008. À partir de 2012, Tumaini collabore avec des Organismes d’adoption agréés (OAA) en Communauté française ainsi qu’avec la direction de l’adoption de la Communauté française. Dès 2013, Tumaini est l’objet de rapports critiques de la part de l’ambassade ou de la représentante de la Communauté française à Kinshasa. Les conditions de vie sont précaires, l’hygiène est médiocre et les enfants sont l’objet de peu de soins.
En 2015, le SPF Affaires étrangères porte plainte, ce qui conduit à l’ouverture d’une instruction judiciaire sous la supervision du parquet fédéral. Pour des couples adoptants belges, le monde s’effondre fin 2016. Ils sont convoqués au parquet fédéral. Les autorités judiciaires leur annoncent que les enfants qu’ils ont adoptés ne sont en réalité pas des orphelins. Ils ont été kidnappés au Congo avant d’être placés dans un orphelinat à Kinshasa et envoyés en Belgique.
L’enquête a notamment retracé le parcours de trois fillettes originaires de Gemena, une localité reculée à 850 kilomètres de Kinshasa. Leurs parents les avaient confiées en 2015 à une association locale, Planète Junior, qui a reçu une proposition alléchante. Quatre enfants ont l’occasion de se rendre pour trois semaines en camp de vacances à Kinshasa. Ils sont accompagnés par un membre de Planète Junior.
Les trois fillettes et un garçon arrivent à Kinshasa fin avril 2015. Il est prévu que l’accompagnant reprenne les enfants à la fin du séjour. Lorsqu’il veut les récupérer, il ne les retrouve pas. Il alerte une ONG locale de paix et d’éducation civique. Seul le garçon est retrouvé. À Gemena, les parents des trois fillettes reçoivent des explications diverses. On leur dit qu’une fillette doit recevoir des soins, qu’il n’y a pas d’argent pour le vol retour ou encore qu’elles sont en Europe.
Elles arrivent le 9 novembre 2015 en Belgique, où ces trois fillettes de 3, 4 et 6 ans sont confiées à des parents adoptants, auprès desquels elles vivent toujours. Deux autres cas d’adoption en Belgique présumés frauduleux sont documentés.
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Des “enfants objets”
L’enquête a relevé que Julienne Mpemba avait notamment substitué ces trois fillettes à d’autres, comme en atteste le fait qu’elles ne correspondaient pas aux photos qui avaient été présentées aux parents adoptifs. Elle pourrait avoir agi de la sorte car ces enfants photographiés auraient succombé lors d’une épidémie de fièvre typhoïde.
Le tribunal a pointé la Communauté française pour “la mansuétude coupable sans laquelle la prévenue n’aurait certainement pas pu agir comme elle l’a fait”.
Pour Julienne Mpemba, “les enfants n’étaient qu’une marchandise à monnayer au plus haut prix en exploitant” le désarroi de parents adoptifs, a relevé le tribunal. Et de souligner que “sa vénalité a atteint son paroxysme lors de la prise d’otage des enfants”. Les trois filles, qui devaient gagner la Belgique, avaient ainsi été déplacées et cachées, juste avant leur départ prévu pour la Belgique, “afin d’arracher une somme d’argent pour laquelle Julienne Mpemba est incapable de produire la moindre justification”.
Dans ce dossier, des fonctionnaires de la Communauté française ainsi que le chef de cabinet du ministre de l’Aide à la jeunesse de l’époque, Rachid Madrane (PS), avaient été inculpés. Mais ils avaient obtenu un non-lieu lors du règlement de la procédure.
Jeudi, dans son jugement, le tribunal pointe la Communauté française pour “la mansuétude coupable sans laquelle la prévenue n’aurait certainement pas pu agir comme elle l’a fait”. Et de poursuivre : “Toutefois, cet aveuglement difficilement compréhensible” n’oblitère en rien la responsabilité de la prévenue.
Ni perdant, ni gagnant
Julienne Mpemba a très mal pris sa condamnation. Alors que des policiers voulaient la menotter à la suite de son arrestation immédiate, défiante, elle s’en est prise au président du tribunal, vociférant : “Vous ne me briserez pas” et critiquant une “justice corrompue”. Elle a d’ores et déjà laissé entendre qu’elle irait en appel.
L’affaire n’est toutefois pas close devant la justice. Le tribunal de la famille va se pencher sur le cas des enfants. Les parents adoptifs veulent les garder tandis que les parents biologiques des trois fillettes, qui sont représentés par Me Vincent Lurquin qui les a vus au Congo, “remercient les familles belges”. “Ils s’en remettent à Dieu. Mais ils veulent un contact, ressouder le lien avec leurs enfants” qu’ils n’ont jamais revus.
Et ces parents, comme les parents adoptifs, pourraient aussi, sur la base du jugement qui pointe “sa mansuétude coupable” et son “aveuglement”, citer au civil la Communauté française.
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