Ma moto et moi.

Avec Dr Josette Ilunga Harley Davidson BMW GS 1200
Tout commence la veille de mes cinquante ans. Le demi siècle, l’âge des bilans et de la remise en question. Je regarde dans le rétroviseur de ma vie, le chemin parcouru et je me pose la question de savoir si je suis satisfait : silence.
Et puis quoi !
On s’en fout.
Mais les bilans c’est aussi la santé, et ça, on ne peut pas s’en foutre. Surtout quand mon épouse s’appelle Dr Josette Ilunga, médecin de son état. Elle ne me lâche pas. Bilan médical complet. C’est alors que commence ce qui ressemble à un chemin de la croix: prélèvement de sang, analyse d’urines, examen bucco-dentaire, tests visuels et auditifs, indice de masse corporelle, électro-cardiogramme, pression artérielle, capacité respiratoire, prostate, radio pulmonaire et, cerise sur le gâteau, dépistage du sida. Un véritable calvaire. L’agonie dure trois jours pour avoir les résultats de toutes les analyses. Et quand le toubib nous libère avec un grand bravo, Josette mon médecin très personnel pousse un ouf de soulagement. C’est alors que je me réalise qu’elle était plus stressée que moi, elle qui connaît le corps humain, elle qui connaît mon corps, déformation ou formation professionnelle oblige. Quand à moi, je me sens comme un bébé qui vient de naître, tout neuf. Ils n’ont rien trouvé. Même pas un polype.
Délivré, je me dis que c’est le moment de me faire plaisir. Je vais enfin satisfaire un rêve d’enfance devenu une obsession pendant mes années américaines lorsque je traversais le Midwest, du Nebraska au Massachussetts en passant par l’Illinois et l’Ohio, croisant des « motorcycle gangs », barbe et cheveux au vent. Je vais m’offrir une Harley Davidson, me dis-je, comme Johnny Halliday, celui là même qui nous a introduit à la musique américaine, en français. Le temps de me libérer est enfin arrivé. Je dois réveiller mes sens et partir à la conquête de moi-même.
Mon choix porte sur la Softail Heritage Classic 114 avec un moteur Twin Cam de 1690cm3, un système de contrôle d’accélération électronique et un régulateur de vitesse en série. Le centre de gravité est suffisamment bas avec des suspensions optimisées pour un maximum de confort. Le rêve se réalise.
De retour au pays après un mandat diplomatique à Londres, je rejoins le CMDK, le Club des Motards de Kinshasa. Un groupe de jeunes et de moins jeunes qui se retrouvent autour de la moto. Et là, c’est plutôt la BMW GS 1200 qui règne. Vue la nature de nos routes et les virées “off road” que nous faisons, je suis obligé de me convertir. Je découvre une machine fantastique avec une puissance phénoménale. Sur la BMW, la liberté est sans limites. Comme me l’a dit un ami motard, « la vie n’est pas une autoroute. On est né pour explorer de nouvelles pistes ». J’ai compris que je dois trouver mon chemin là où les autres n’osent pas s’aventurer. Résultat, impossible de m’ennuyer.
Alors, c’est quoi cette passion qui me prend à cet âge ? Petit, je rêvais d’une moto pour épater les nanas et faire le cirque dans le quartier comme dirait Laurent Voulzy, un autre rocker français des années 70. Avec le temps, je n’ai jamais intériorisé l’idée du motard voyou qui compense sa platitude avec des wheelings m’as-tu-vu (soulever la roue avant et rouler sur la seule roue arrière sur un minimum de cent mètres). Du reste, le souvenir d’une chute à mobylette devant l’Institut Marie José (Tuendelee aujourd’hui) à Lubumbashi voulant impressionner les filles m’a laissé des cicatrices sur le corps et dans mon esprit qui ont du mal à disparaître. A l’opposé, les grosses cylindrées expriment ce qui se cache en nous de plus bruyant, de plus sauvage et en même temps de plus attendrissant. Une mécanique bien huilée nous ramène tout droit à « l’homo sapiens », aux éléments : le vent, la terre, l’eau, les odeurs, la nature, le bitume, la boue, le sable. Comprendre ce paradoxe, c’est comprendre l’esprit motard.
Il y a aussi la condition physique. Rouler régulièrement à moto me maintient en maxi méga-forme et me fait oublier ma petite bedaine qui fait rire Feza, Samuti, Isabella, Noah et le tout dernier des enfants de mes enfants, Micah à la piscine ou à la plage. La moto, c’est une manière de vivre sportivement tout en aiguisant mes réflexes. Quelque soit mon physique, à moto, c’est ma tête qui décide et avoir la tête sur les épaules pour se changer les idées en évitant les soucis d’argent ou de l’existence tout court. Un mental à toute épreuve, c’est aussi cela l’esprit motard.
En conclusion, je me sens motard « for ever », un moyen de me contester moi même, de juger mes capacités physiques, de mesurer mon énergie vitale. Avec la fratrie du CMDK, le Club des Motards de Kinshasa, nous refusons la loi du moindre effort. Chaque sortie est un challenge. De Kinshasa à Pointe Noire via Brazzaville, de Kinshasa à Muanda ou tout simplement les petites virées citadines dans les embouteillages sans fin, le plaisir est toujours au rendez-vous avant de nous retrouver au Café des motards, place Surcouf. Le vent sur le visage, battus par la pluie, face aux éléments de la nature, nous nous sentons vivre.
Quid du rêve d’enfance ? Il s’est certainement réalisé, mais sur une autre dimension. Une chose est certaine. La moto n’est pas un jouet. La route n’est pas une cour de recréation. Et tant pis pour les nanas. Il faut respecter le code de bonne conduite, tout rentre dans l’ordre et honni soit qui mal y pense.

Barnabé Kikaya Bin Karubi
Ancien Député, Professeur, Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
www.kikayabinkarubi.net | Twitter: @kikayabinkarubi
Très bien écrit, on sent que ça vient des tripes! A bientôt peut-être au club, le temps de convaincre madame…
Autre chose l’envie de moto est-elle une maladie qu’on attrape à 50?😀
Article très bien écrit. Merci Professeur.
Vivre pleinement ses rêves est l’essence même de la vie….
Très palpitant
Merci infiniment prof BkBK c’est impeccable cette plume Bravo 👏🏽👏🏽👏🏽