En RDC, une milice aux portes de Kinshasa

Apparu il y a un an, le conflit entre Yakas et Tékés s’est étendu dans une grande partie de l’ouest du pays. Le président Tshisekedi, qui avait déjà dénoncé une instrumentalisation politique des violences, accuse à présent le Rwanda.
Il n’est cette fois plus question de cet Est que plusieurs milliers de kilomètres de routes souvent impraticables séparent de Kinshasa, mais de l’insécurité qui a explosé à quelques encablures de la capitale. La situation y est devenue si préoccupante que, le 20 mai, en pleine conférence de presse, le ministre congolais de l’Intérieur y est revenu, évoquant l’apparition d’une nouvelle milice aux alentours de Kwamouth, dans la province du Maï-Ndombe.
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À en croire Peter Kazadi, ce sont les Mobondo, « des jeunes gens […] initiés aux histoires mystiques et [qui pensent être] invulnérables [aux] balles ». Dans le Maï-Ndombe, ainsi que, désormais, dans les provinces voisines du Kwango et du Kongo-Central, et jusqu’à la périphérie de Kinshasa, dans la commune de Maluku, des violences sont signalées quotidiennement.
Symboles de l’État
« Ces individus s’attaquent à tout ce qui est symbole de l’État, à nos forces de sécurité et de défense, [ils] tuent la population civile et incendient des villages entiers », a résumé Peter Kazadi.
Le 12 et le 13 mai, au moins onze personnes (civils et militaires) ont ainsi été tuées dans le village de Batshongo (province du Kwango) au cours d’une attaque attribuée aux Mobondo. Et c’est d’ailleurs cette insécurité que les autorités locales ont mise en avant, à la fin de mai, pour interdire aux opposants Moïse Katumbi et Matata Ponyo Mapon de se rendre dans le Kongo-Central et dans le Kwango pour y faire une tournée.
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D’abord apparue dans le territoire de Kwamouth, la milice Mobondo est constituée de Yakas, des fermiers pour la plupart, qu’un conflit communautaire oppose depuis bientôt un an aux Tékés, qui, eux, sont propriétaires terriens. « Son nom, c’est celui des fétiches qui protègent des balles », explique une source locale. Leur nombre est difficile à estimer, mais ce sont généralement des hommes munis d’armes blanches et de fusils de chasse, qui se déplacent à moto, la tête ceinte de tissu rouge.
« Organisés, ils passent à l’action en bandes », explique une source au sein de l’armée. Quelques-uns, comme « l’Américain » et « Saddam », se font appeler « général ». Plus de deux cents de ces miliciens ont été envoyés à la prison centrale de Bandundu. Certains ont déjà été condamnés à des peines de prison. D’autres ont été transférés à Kinshasa.
Plus de 100 000 déplacés
Selon les chiffres avancés par les responsables officiels et par des organismes indépendants, au moins 115 000 personnes, dont 55 000 enfants, auraient été déplacées depuis le début des violences en juin 2022. Plus de 60% des habitants du territoire de Kwamouth ont été contraints de quitter leur maison. On estime aussi que 3 000 civils auraient été tués et plus de 337 blessés depuis un an.
Sous le couvert de l’anonymat, une source au sein de l’exécutif congolais explique qu’aujourd’hui, « il ne s’agit plus seulement d’un conflit foncier, mais plutôt d’une insurrection. » Notre interlocuteur affirme que « lapremière intervention des militaire contre les miliciens a été sanglante » et que, désormais, les autorités « préfèrent envoyer la police plutôt que l’armée ». « Nos adversaires veulent faire porter au chef de l’État la responsabilité du chaos et des morts dans cette partie du pays », conclut-il.
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Depuis plusieurs mois déjà, les autorités congolaises accusent également des personnalités politiques d’instrumentaliser ces violences. En octobre dernier, lors d’une interview accordée à RFI et à France 24, le président Félix Tshisekedi avait dénoncé les manœuvres d’une « main noire », accusée de chercher à « saboter » le bon déroulement des élections prévues en décembre 2023. « Ce qu’il se passe dans l’Ouest aujourd’hui […] ressemble presque comme deux gouttes d’eau aux violences qu’on voit dans l’Est », avait-il ajouté.
Le Rwanda, « cet horrible voisin »
Aujourd’hui, Peter Kazadi avance les mêmes arguments : « Les renseignements à notre disposition indiquent l’implication de certaines personnalités politiques et notabilités, qui entretiennent ce conflit. Elles intoxiquent les populations, les incitent à massacrer les autres, [en espérant] fragiliser les institutions et [saper] l’autorité de l’État. […] L’insécurité de l’Est s’étend vers l’Ouest, avec l’accompagnement [sic] des hommes politiques. »
Alors qu’il était en visite en Chine, à la fin de mai, le chef de l’État congolais est allé jusqu’à pointer un doigt accusateur en direction du Rwanda, auquel Kinshasa reproche déjà de soutenir les rebelles du M23 dans le Nord-Kivu. Lors d’un échange avec la diaspora congolaise, et faisant le lien avec des foyers d’instabilité apparus en divers endroits du territoire, Félix Tshisekedi a dénoncé les agissements de « cet horrible voisin qui veut déstabiliser la RDC à l’Est et qui, maintenant, amène le foyer de tensions au cœur de Kinshasa tout en comptant aussi sur une ébullition du côté du Katanga ». « Nous sommes au courant de tout cela, et nous allons nous défendre bec et ongles, a-t-il ajouté. Ce dont je suis sûr, c’est que nous ne perdrons pas cettebataille ».
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