RDC : Félix Tshisekedi et la stratégie du bouc émissaire (Tribune)

Un an après l’avènement de l’historique alternance pacifique en République Démocratique du Congo, la rupture communicationnelle au sommet de l’Etat est sans conteste.
Après près de deux décennies marquées par un « profond silence » de Joseph Kabila, non sans signification, le Président Félix Tshisekedi, fils d’un tribun, ne loupe pas les occasions, surtout à l’étranger devant les foules, de communiquer sur sa vision du Congo, son pouvoir, ses relations avec son prédécesseur, la coalition entre le CACH et le FCC, ses rapports avec les partenaires régionaux et internationaux, etc.
Ce point frappant lui attire plusieurs faveurs. Autant ça l’expose à des critiques, parfois acerbes tant sur le fond que la forme. Tel le cas de sa récente sortie médiatique à Londres sur l’éventualité de la dissolution, à son initiative, de l’Assemblée nationale.
Plutôt que de m’engager dans le très nourri débat en cours sur le bien-fondé des propos du Chef de l’Etat, à restituer dans son contexte, je préfère questionner le « pourquoi » de ses déclarations faites en pays étranger et, surtout, à quelques heures de la célébration du premier anniversaire de l’alternance.
Au titre d’hypothèse, je postule pour la mise en œuvre d’une stratégie visant à susciter le renouvellement du soutien populaire en dépit du caractère mitigé du bilan d’étape du quinquennat du Chef de l’Etat. Encore que parler du bilan est quelque peu exagéré compte tenu du fait que le Gouvernement, qui a la responsabilité constitutionnelle de conduire la politique de la Nation, n’a été mis en place qu’en septembre dernier. Soit huit mois après l’investiture du Chef de l’Etat. Après un discours sur l’état de la Nation qui a semblé exacerber la controverse sur l’action du Président de la République, la stratégie du camp présidentiel, conscient des nombreuses attentes de divers ordres des Congolais, la recherche d’un bouc émissaire semble pouvoir mieux justifier le rythme extrêmement lent du changement promis aux Congolais en mal de patience.
Après une année de repérage des signes distinctifs dans un contexte d’apaisement avec successivement son allié politique (le FCC), l’opposition politique (prompte application des mesures de décrispation politique), l’Eglise catholique, les partenaires régionaux et internationaux, le camp présidentiel donne à penser qu’il est actuellement dans la phase de détecter des signaux négatifs susceptibles de porter atteinte à l’image du Président Félix Tshisekedi dont la communication insiste sur sa détermination à servir sans réserve le peuple. Face à une opposition encore en quête de repères et de discours pour se crédibiliser, le regard dans la mise en œuvre de cette stratégie est tourné vers la coalition dont les problèmes de cohérence et de discipline des membres étaient prévisibles.
La stratégie du bouc émissaire participe ainsi à l’ambition de charger le peuple dans l’optique de l’attribution des signes d’incarnation de l’ « ennemi politique » à anéantir symboliquement pour se mettre à l’abri d’un éventuel danger. Relevant du long temps dans sa mise en œuvre, elle peut viser, par rapport à l’organisation du décideur, les personnes internes et/ou externes, présentées, à tort ou à raison, comme étant des auteurs de l’échec réel ou éventuel de l’action du pouvoir référentiel. Ceci amène à propager et à diversifier les objets de la discorde, en insistant sur le(s) sujet(s) à mettre en quarantaine, au besoin.
Pendant longtemps, la RDC s’est projetée au-delà de ses frontières nationales pour identifier le bouc émissaire de ses nombreux maux à la base de sa torpeur. L’alternance politique semble renverser la tendance consistant en la recherche du bouc émissaire, d’abord, à l’intérieur du système. Dès lors, l’objectif consiste certainement à mettre à l’épreuve l’allié de la coalition (le FCC d’une hétérogénéité évidente et non sans inconvénient) dont l’influence pourrait, au pire de cas, nuire à l’image du Président de la République auprès de l’opinion publique nationale et internationale en attente du concret promis.
Reste à savoir si le peuple, au-delà de la base du camp présidentiel, va mordre à cette stratégie, et si les moyens de détection et de désignation du bouc émissaire sont à la hauteur du défi afin d’en assurer une puissance mobilisatrice dans la durée pour persuader ce dernier à saisir le message et à y répondre favorablement. En effet, la réussite de cette stratégie consiste à élargir l’assiette des partisans dans la lutte contre la personne physique ou morale mise à l’épreuve à l’effet de l’obtention de son dévouement au bénéfice de la consolidation du pouvoir référentiel.
C’est très risqué que de s’y engager, sans garde-fous préalables, car il n’y a pas à exclure les effets boomerangs. Non seulement parce que le recours à cette stratégie requiert auparavant de réduire au maximum le risque de subir des accusations sur l’objet de désignation du bouc émissaire (anti valeurs, incompétence, etc.) mais aussi il impose le développement de la cohérence entre la parole et l’action pour crédibiliser la démarche du désignateur du bouc émissaire.
En donnant à penser de cibler au premier rang le FCC dans la mise en œuvre de la stratégie du bouc émissaire, pour assurer l’ancrage et la solidité de son pouvoir, le camp présidentiel atteste une demande de concessions de plus de la part de son allié pour augmenter le gain politique du Cach. Il y va du calcul stratégique en négociation. Par ailleurs, le camp présidentiel exprime sa flexibilité à une possible et inédite alliance avec toutes les autres forces sociales pour mieux résister à une éventuelle ambition de prépondérance du FCC. D’où la posture discursive de la menace de la dissolution de la chambre basse du Parlement, à l’initiative du Chef de l’Etat, en cas de crise persistante entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement. En réalité, un divorce entre ces deux dernières institutions nationales paraît très peu envisageable parce que dominées par le FCC.
A priori, le message est bien passé. Et le feedback, qui n’a pas tardé, donne des indications de la complexité du rapport institutionnel et extrainstitutionnel entre le FCC et le CACH. Les forces sociales, politiques et officiellement apolitiques, sont elles assez mobilisées et persuadées pour soutenir le Président de la République de faire triompher son pouvoir face aux contraintes de la logique de coalition ? Voilà l’inconnu qui confirme que la politique relève essentiellement du possible. Il n’y a pas à exclure que la stratégie du bouc émissaire conforte le camp présidentiel ou lui nuise sérieusement. Il lui revient de faire montre d’intelligence stratégique pour mieux maitriser la dynamique des enjeux et des impératifs de l’heure et du futur.
La stratégie du bouc émissaire viserait, à terme, à créer les conditions stratégiques de l’atteinte du résultat annoncé : la conversion des mentalités et le changement (positif) de la situation du Congolais.
Par JJ Mwenu sur https://www.digitalcongo.net/article/5e2f1ab22f63be0004a3b2f4