En RDC, le déploiement de la force régionale suffira-t-il à résoudre la crise ?

Dans l’est du pays, des contingents étrangers continuent d’arriver et Paul Kagame s’est réjoui des « progrès » effectués. Mais du lieu de cantonnement des rebelles à leur éventuelle participation à des négociations, plusieurs questions restent encore à trancher.
Drapeau de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) trônant sur la cuirasse, les chars ougandais ont fini par passer la frontière. Le 31 mars, au lendemain de l’expiration d’un énième calendrier de retrait des rebelles, les premiers contingents des forces armées ougandaises (UPDF), attendus depuis plusieurs mois, ont formellement pénétré en RDC via un poste frontière symbolique, celui de Bunagana.
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Première grande ville passée sous le contrôle du M23 en juin 2022, ce carrefour commercial stratégique, à la frontière entre la RDC et l’Ouganda, sert depuis des mois de point d’ancrage à une partie de la direction du mouvement rebelle. Il est aussi devenu le symbole d’un conflit qui, entre impasse diplomatique et escalade militaire sur le terrain, s’est enlisé depuis novembre 2021.
Crainte d’asphyxie
Après une offensive militaire à l’issue de laquelle les rebelles étaient parvenus à prendre le contrôle des principaux axes menant à Goma, faisant craindre l’asphyxie de cette ville de plus de deux millions d’habitants et une éventuelle progression vers le Sud-Kivu, les combats ont baissé en intensité récemment. Mais cela ne permet pas pour autant d’entrevoir une réelle sortie de crise.
Accusé de soutenir le M23, le président rwandais Paul Kagame, qui recevait son homologue kényan William Ruto le 4 avril, estime que ces dernières semaines, « des progrès ont été constatés ». En RDC, où l’opinion congolaise se montre sceptique vis-à-vis de cette force régionale (EACRF), l’annonce de l’arrivée des contingents ougandais et sud-soudanais a plutôt suscité des interrogations.
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Les Ougandais ont en effet coupé court aux éventuelles rumeurs d’affrontements avec les rebelles en réaffirmant, quelques jours après leur déploiement, le statut de « force neutre » de l’EACRF. Le 30 mars, le président Yoweri Museveni affirmait pour sa part que ses troupes n’iraient « pas combattre le M23 », seulement « occuper certaines des positions que les rebelles vont remettre à l’EACRF ».
Zones-tampons
Bien que dans la lignée des récentes déclarations de la présidente tanzanienne Samia Suluhu, ces propos n’ont pas manqué de questionner la classe politique congolaise. À l’Assemblée nationale, les députés Claudel André Lubaya et Juvénal Munubo ont d’ailleurs adressé des questions orales à l’attention du nouveau vice-Premier ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba.
Tous deux souhaitent s’enquérir du cadre, de la durée et du bilan de la force régionale, ainsi que de ceux de la mission des contingents UPDF, alors que l’Ouganda est accusé, dans le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, d’avoir servi de base arrière aux rebelles. « Aujourd’hui, aucun calendrier ne prévoit le rétablissement de l’autorité de l’État dans les zones libérées. Pour l’instant, l’EACRF ne sert qu’à créer des zones-tampons et cela risque de figer cette situation », pointe Juvénal Munubo.
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Cette crispation n’épargne pas le sommet de l’État congolais, qui a semblé de plus en plus isolé ces derniers mois. Le Status of Forces Agreement (Sofa), document qui fixe les modalités du déploiement de la force régionale, a été signé le 8 septembre 2022 pour une durée de six mois. Il a donc expiré le 8 mars, mais n’a, pour le moment, pas été renouvelé, nous affirment deux sources à la présidence congolaise. « Il est prévu qu’avant son renouvellement, le Sofa fasse l’objet d’une évaluation, afin de voir ce qui peut être amélioré avant d’en parler au niveau de l’EAC », précise l’une de ces sources. Et d’ajouter qu’une réunion du Conseil supérieur de défense s’est récemment tenue à ce sujet.
Cantonnement
Si le gouvernement congolais a toujours défendu l’idée d’un mandat « offensif », il a rapidement semblé clair que l’intention de l’EACRF, y compris au niveau de son commandement militaire, était de privilégier le processus politique. Reste que l’arrivée progressive des contingents restants – l’Ouganda table, selon plusieurs sources, sur un effectif total de 2 000 soldats, là où les Sud-Soudanais ne sont, pour le moment, que quelques dizaines – ne répond pas aux incertitudes actuelles.
Le retrait des rebelles semble certes en bonne voie dans plusieurs localités, à l’exception notables de bastions que sont Rutshuru et Kiwanja. Mais encore faut-il pouvoir le faire vérifier de manière indépendante. « On nous dit que les Ougandais se sont déployés à Bunagana à la suite du retrait du M23, mais où les rebelles se sont-ils retirés exactement ? Dans les autres zones qu’ils contrôlent ou dans les points de cantonnement prévus ? » interroge un membre du cabinet présidentiel.
PLUSIEURS SITES SONT ACTUELLEMENT ENVISAGÉS POUR ACCUEILLIR LESREBELLES QUI ACCEPTERONT D’ÊTRE CANTONNÉS
La question du cantonnement est au cœur des discussions. Les précédentes résolutions prévoyaient un cantonnement au niveau du mont Sabyinyo, près de la frontière entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. Il semble à présent que cette zone ait vocation, selon les termes d’une source sécuritaire congolaise, à servir de « point de transit » avant un cantonnement désormais envisagé dans le Maniema, possiblement près de Kindu.
Selon nos informations, plusieurs sites ont été envisagés ces dernières semaines, dont le camp de Lokando. Les éléments démobilisés du M23 y seraient alors transportés par les airs depuis Sabyinyo ou Goma, et il n’est pas exclu, côté congolais, que la Monusco soit sollicitée acheminer les rebelles. L’Angola, qui a annoncé le déploiement d’environ 500 soldats, y encadrerait les démobilisés.
Le M23 sûr de sa force
L’avenir des zones libérées par le M23 demeure tout aussi flou. Les rebelles, qui dominent depuis des mois le rapport de force sur le terrain, ont systématiquement exprimé leur hostilité à voir l’armée congolaise reprendre le contrôle des localités qu’ils occupent. C’est le message qu’ils s’efforcent de passer à leurs interlocuteurs au sein de la force régionale. Dans sa déclaration du 30 mars, Museveni a lui-même affirmé que la mission de l’EACRF était d’occuper les zones libérées « à la place de l’armée congolaise, que le M23 perçoit comme un ennemi ».
Ce message a naturellement du mal à passer à Kinshasa. « Il n’est aucunement possible d’interdire aux FARDC de faire leur travail sur le territoire congolais », a réagi Patrick Muyaya, le ministre de la Communication.
La marge de manœuvre de Félix Tshisekedi semble toutefois restreinte. « Le M23 est sûr de sa force sur le plan militaire, constate une source onusienne en RDC. Opérationnellement, ils peuvent tout faire. L’annonce de leur retrait est donc à prendre avec des pincettes. Ils n’accepteront pas d’être cantonnés sans garanties d’un dialogue et de négociations. »
Retour à la table des négociations
Sauf que sur cette question des négociations, les opinions divergent tout autant. Kinshasa a plusieurs fois exprimé son hostilité à l’idée d’ouvrir un canal de discussion avec le M23, canal que réclament les rebelles depuis plus d’un an. Dans un récent communiqué, l’ex-président kényan Uhuru Kenyatta, qui fait office de facilitateur dans le processus de Nairobi, a, lui aussi, évoqué la possibilité d’un retour du M23 à la table des négociations. « Un plus grand nombre de groupes armés se conforment désormais aux termes du processus de Nairobi et sont donc de plus en plus susceptibles d’être tous intégrés dans la voie politique du processus de Nairobi à l’avenir », a-t-il souligné.
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Près d’un an après leur exclusion des discussions de Nairobi, le M23 sera-t-il réintégré à de nouveaux pourparlers ? La quatrième session de dialogue est en tout cas en préparation, pilotée côté congolais par le mandataire spécial du président, Serge Tshibangu. Pour la première fois, les discussions pourraient se tenir sur le territoire congolais.