Lettre ouverte à Félix Tshisekedi : M. le Président, d’accord pour le match de mobilisation,
mais vous avez confisqué le ballon !

Vous avez choisi la nuit du 3 au 4 novembre 2022 – celle de la veille de l’ouverture dans la capitale du Kenya du 3ème round du Processus de Nairobi – pour adresser au peuple congolais le message promis lors de la réunion du Conseil supérieur de la défense du samedi 29 octobre, cela des suites de la prise de Kiwanja et de Rutshuru par le M23. Dans ce discours, prononcé avec un ton martial traduisant la gravité de la situation, vous avez effectué quatre appels : solidarité avec les compatriotes de l’Est, soutien aux Fardc, mobilisation des forces vives de la Nation (classe politique et société civile confondues) et enrôlement massif de la jeunesse au sein des forces armées. Le silence du chef de l’Etat sur la 3ème réunion du Processus de Nairobi au moment où le Kenya s’apprête à déployer ses troupes sur le territoire congolais surprend…
Monsieur le Président,
Ce que, alors à l’Opposition, vous refusiez catégoriquement aux Congolais malgré les appels similaires pathétiques de vos prédécesseurs Laurent-Désiré Kabila et Joseph Kabila pour bouter l’ennemi dehors, l’Opposition d’aujourd’hui ne saura le faire parce qu’elle a un avantage que vous apprenez maintenant à découvrir : l’incompatibilité du discours de rue avec celui d’Etat.
Sans engager l’Opposition – car son existence n’a jamais été formalisée malgré votre engagement exprimé dans votre discours du 6 novembre 2020 confirmant la liquidation de la coalition Fcc-Cach – j’ose croire que l’unanimité se dégagera facilement. Car, pour la défense du pays, il n’y a ni Majorité, ni Opposition, déclarait en son temps Joseph Kabila, lorsqu’il appelait les Congolais, en guise de solidarité à l’égard des compatriotes de l’Est, à se mobiliser comme un seul homme en vue de l’assistance humanitaire, de l’appui moral et logistique des forces de défense et de sécurité et de l’enrôlement des jeunes dans l’armée.
Monsieur le Président,
Dans votre discours, vous avez eu la lucidité de lister vos initiatives diplomatiques depuis votre accession au pouvoir.
Mais, ce que vous ne dites pas – alors que ça devrait être l’information principale de votre communication – vous aviez amorcé secrètement un rapprochement avec le M23. C’est au point 69 du « Rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo » sur lequel vous vous appuyez pour affirmer le soutien du Rwanda au M23.
Le panel des experts des Nations-Unies y relève que « Des négociations Confidentielles entre le Gouvernement de la République démocratique du Congo et une délégation du M23, qui avaient débuté en septembre 2020 et s’étaient poursuivies pendant 14 mois, sont au point mort ». Ces négociations ont commencé en septembre 2020 pour s’arrêter en novembre 2021.
Au point 70, il y a cette affirmation : « Le porte-parole et des cadres politiques du M23/ARC ont d’abord nié l’implication du mouvement dans les attaques de novembre et de décembre 2021, soulignant que le M23/ARC avait poursuivi un dialogue constructif avec le Président Félix Tshisekedi depuis 2020. Toutefois, leur discours a radicalement changé en mars 2022, lorsqu’ils ont accusé à plusieurs reprises les FARDC d’attaquer leurs positions sur les monts Mikeno, Karisimbi, Visoke et Sabinyo, et le Gouvernement de refuser intentionnellement toute solution pacifique et de faire le choix de la guerre. Le M23/ARC s’est alors réservé le droit de se défendre et a annoncé qu’il poursuivrait la lutte pour apporter un changement qui ait du sens dans le pays ». Là, nous sommes en septembre 2020.
Mais, déjà en août 2020, comme pour préparer le terrain à ce rapprochement, vous aviez reçu en audience l’ambassadeur du Rwanda Vincent Karega. Voici ce qu’il avait déclaré aux médias : « Le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, en sa qualité de premier vice-président de l’Union africaine, joue un grand rôle dans la pacification de la région et de la RDC où il a décidé de démanteler toutes les forces négatives, parmi lesquelles les FDLR qui constituaient une menace pour le Rwanda ».
Monsieur le Président,
Peut-être que c’est une coïncidence. Peut-être non. Mais le fait est là : c’est à la même période que vous avez fait des misères à votre partenaire Front Commun pour le Congo (Fcc), l’accusant de bloquer vos initiatives en faveur du peuple congolais !
L’opinion se souviendra de toutes les peines que le parti présidentiel avait eues à l’époque pour articuler les preuves du fameux blocage.
Ainsi, pendant que vous rejetiez les forces vives congolaises dont le seul tort était de suggérer des concertations autour par exemple du processus électoral, vous négociez secrètement avec des groupes armés semant la terreur à l’est.
On en viendrait à se demander, Monsieur Félix Tshisekedi, si vous n’aviez pas sacrifié la première cohabitation post-alternance démocratique pour satisfaire aux exigences du M23 qu’on ne serait pas loin de la vérité. Qu’à cela ne tienne !
Nous savons prendre de la hauteur parce que ce pays, la République Démocratique du Congo, était à l’article d’une mort programmée lorsque Mzee Laurent-Désiré Kabila s’était jeté à l’eau pour le sauver du démembrement et le Raïs Joseph Kabila en avait fait autant d’abord avec les partenaires du 1+4, ensuite avec les partenaires au développement pour l’engager dans la voie de la reconstruction de ses institutions et de son administration publique. Institutions et administration que vous avez trouvées en plein fonctionnement.
Au sujet de l’armée que vous n’aviez eu de cesse de qualifier de soldatesque depuis l’époque du maréchal Mobutu, votre prédécesseur Joseph Kabila l’a hissée au 10ème rang des forces armées les mieux organisées d’Afrique, malgré l’embargo.
Monsieur le Président,
A votre appel à la vigilance lancé au peuple congolais à l’endroit des envahisseurs, tout comme à celui des Congolais traîtres, on ne peut que y souscrire. Nous en connaissons le choc et le drame.
A votre appel à la mobilisation en faveur des Fardc, on ne peut que y souscrire. A celui de l’enrôlement des jeunes dans l’armée nationale, on ne peut pas ne pays y souscrire. A l’appel à la solidarité avec les populations déplacées, Mme Olive Lembe Kabila et la députée Jaynet Kabila Kyungu ont toujours été proactives.
Cependant, à l’appel à la vigilance générale, on ne peut y croire parce que votre propre parcours en est l’illustration : vous ne tenez jamais parole, mais surtout vous cultivez l’art de livrer vos partenaires à la vindicte populaire : Kamerhe, Katumbi, Fayulu, Muzito, Kabund, Beya, Mukwege, Ambongo, Nshole…
Pour l’heure, le peuple congolais est pris à témoin. Il assistera à la multiplication d’initiatives de démobilisation qui seront l’œuvre des membres de l’Udps. Il verra ou entendra la base en charge de la communication de ce parti s’en prendre à tous ceux qui vont tenter de faire des observations pertinentes. Par exemple celle du ballon que vous avez gardé dans votre camp malgré l’appel lancé. Ce ballon, Monsieur le Président, est l’omission, dans votre message, de l’information-clé : la vérité autour du rapprochement avec le M23/ARC de Bertrand Bisimwa, différent du M23/ASP de Jean-Marie Runiga.
Dans la vie courante, le justiciable qui requiert l’assistance d’un avocat, le malade qui sollicite l’intervention d’un médecin ne cache pas la vérité.
Aussi, le Congolais mobilisé est-il en droit de savoir laquelle de ces deux ailes du M23 a osé s’amuser avec son Chef d’Etat. Est-ce l’aile rwandaise ? Ou plutôt l’aile ougandaise ? Ou alors les deux !

Barnabé KIKAYA Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
www.kikayabinkarubi.net | Twitter: @kikayabinkarubi