BUKANGA LONZO : l’Inspection Générale des Finances, bras séculier ?

On a assisté le week-end du 15 au 16 mai 2022 à une énième passe d’armes entre l’Inspection générale des finances (Igf) et le Premier ministre honoraire Augustin Matata Ponyo (AMP). A la base : l’interview accordée par ce dernier à Boisbouvier de Rfi et diffusée le 15 mai. D’où la réaction musclée de Jules Alingete en personne le lendemain…
Question posée par RFI à AMP : “ Mais, Matata Ponyo Mapon, est-ce que votre bilan de Premier ministre n’a pas été entaché par le dossier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo ? L’Inspection générale des finances vous a accusé en novembre 2020 d’être l’auteur intellectuel de la débâcle de ce projet agro-industriel qui s’est terminé par le détournement de plus de 200 millions de dollars ».
Réponse donnée d’AMP à RFI : « Vous savez, c’est scandaleux, d’abord, de qualifier quelqu’un de responsable intellectuel. Ça veut dire tout simplement qu’il n’a volé aucun dollar. Parce que quand on dit de quelqu’un ‘ responsable intellectuel ‘, c’est qu’on est incapable de prouver qu’il a détourné un dollar. Deuxièmement, quand on parle de détournement de 200 millions de dollars, lorsque l’on demande à la Banque centrale combien elle a décaissé, ce montant est loin d’atteindre les 200 millions de dollars. Donc, ça veut dire en d’autres termes que ce sont des chiffres que l’on a fabriqué dans le but de nuire. Troisièmement, le parc agro-industriel était géré dans le cadre d’un partenariat public et privé entre le gouvernement congolais et une entreprise sud-africaine spécialisée dans la matière agricole. Et le responsable de cette entreprise a dit clairement lors d’une interview publique, ici en RDC, qu’il n’a jamais remis un dollar à monsieur Matata, que ce soit directement ou indirectement. Donc, en principe, si je me tiens en face d’institutions crédibles, je devrais recevoir des excuses et à la fois de l’inspecteur général des finances et à la fois du procureur général de la Cour constitutionnelle. Et donc je ne pense pas que ce dossier puisse entacher mon bilan socio-économique parce que c’est plutôt un dossier politique qu’un dossier judiciaire au sens strict ».
La réplique de l’Igf n’a pas tardé. Dans un document largement diffusé sur les réseaux sociaux le week-end, Jules Alingete écrit textuellement ceci : « L’Inspection Générale des Finances porte à la connaissance de l’opinion tant nationale qu’internationale que les conclusions auxquelles elle a abouti, à l’issue de sa mission de contrôle du projet du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo, ont fait l’objet d’une transmission à l’Officier du Ministère Public qui, après enquêtes supplémentaires, avait décidé de prendre en charge ce dossier et de le porter auprès du juge, pour établissement des responsabilités, au vu de la gravité des faits.
A ce stade, l’Inspection Générale des Finances est par conséquent dessaisie de ce dossier et ne peut donc plus communiquer là-dessus.
En tout état de cause, ce que l’opinion doit retenir est que :
– cette mission de contrôle avait été demandée par l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO lui-même et non par une quelconque autorité politique ou judiciaire, pour être qualifiée par lui d’acharnement ;
– sa demande était motivée par les accusations lancées à son endroit dans l’opinion ainsi que différents milieux politiques, accusations qui se sont révélées fondées et que l’Inspection Générale des Finances a documentées dans le respect des normes en matière d’audit et de contrôle.
L’Inspection Générale des Finances confirme par conséquent que le Projet de Parc Agro-Industriel de Bukanga-Lonzo est un échec désastreux , qui a coûté à la République plus de 287 millions de dollars américains et que son instigateur, l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO est bien l’auteur intellectuel, matériel et principal de cet échec ainsi que des détournements qui ont eu lieu.
L’Inspection Générale des Finances n’a, par conséquent, aucune excuse à présenter et reste convaincue que l’analyse de ce dossier quant au fond ne pourra que confirmer la responsabilité personnelle, pleine et entière, de Monsieur MATATA PONYO dans cette débâcle.
En attendant qu’une telle analyse ait lieu, l’Inspection Générale des Finances n’entend pas être distraite de sa mission et préfère se concentrer sur la traque d’autres délinquants financiers ».
DETOURNEMENTS EFFECTUES A PARTIR DE QUELS COMPTES ?
L’analyse de cette réaction soulève deux premières préoccupations. De l’Inspection Générale des Finances et de l’Office du Ministère public, à qui revient la compétence d’établir et de signifier une infraction ? Partant de la réponse, de l’Igf et de l’Office du Ministère Public, à qui revient la compétence de qualifier quelqu’un d’auteur intellectuel, matériel et principal de l’échec de tout projet donné ? La réponse est évidente : ce n’est pas l’Igf.
Ainsi, à ce niveau, il y a un vrai problème de compétence pour la première préoccupation. Pour la seconde, il y a le problème de traçage du financement au départ du compte du Trésor public.
En effet, dans sa réponse à RFI, Augustin Matata Ponyo révèle que « Deuxièmement, quand on parle de détournement de 200 millions de dollars, lorsque l’on demande à la Banque centrale combien elle a décaissé, ce montant est loin d’atteindre les 200 millions de dollars. Donc, ça veut dire en d’autres termes que ce sont des chiffres que l’on a fabriqué dans le but de nuire “.
Or, dans son communiqué du 16 mai 2022, l’IGF persiste et signe en confirmant que « le Projet de Parc Agro-Industriel de Bukanga-Lonzo est un échec désastreux , qui a coûté à la République plus de 287 millions de dollars américains et que son instigateur, l’ancien Premier Ministre MATATA PONYO est bien l’auteur intellectuel, matériel et principal de cet échec ainsi que des détournements qui ont eu lieu ».
La question taraudant tout esprit avisé est la suivante : sur quel compte du Trésor public les 287 millions de dollars américains ont-ils été tirés pour qu’on puisse établir le fait du détournement des deniers publics ? La réponse doit être claire, car si le doute est jeté sur un seul des éléments d’enquête dont question, c’est la crédibilité de tous les éléments qui est affectée.
On tombe, bien entendu, sur le principe du droit selon lequel il revient à l’accusation (en l’occurrence l’Igf) de prouver la culpabilité du Premier ministre honoraire Augustin Matata Ponyo, dans le respect de la procédure et de la légalité établies. En d’autres mots, ce n’est pas au prévenu ou à l’accusé d’établir son innocence. C’est à l’accusation.
En l’espèce, à l’analyse de son communiqué, l’Igf se substitue à l’Officier du ministère public en qualifiant l’infraction et en accusant formellement l’intéressé.
Pourtant, la Constitution de la République Démocratique du Congo déclare au dernier alinéa de l’article 17 : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif ».
Ici, on est devant un cas d’une extrême gravité : l’Igf – service attaché directement à l’Institution Président de la République – accuse formellement et publiquement un citoyen congolais d’infraction de détournement des deniers publics et l’envoie à l’Omp pour exécution alors que nulle part, dans la loi qui la régit, ce pouvoir ne lui est reconnu.
Pire, elle termine son communiqué par cette phrase politiquement motivée : « En attendant qu’une telle analyse ait lieu, l’Inspection Générale des Finances n’entend pas être distraite de sa mission et préfère se concentrer sur la traque d’autres délinquants financiers » (sic).
PLUS DE DOUTE : C’EST LA PREUVE D’UNE CHASSE AUX SORCIÈRES ORDONNÉE !
Voilà son interprétation de ses missions définies à l’article 2 de l’ordonnance n°87-323 qui l’organise et dont voici le libellé : « L’Inspection générale des finances dispose d’une compétence générale en matière de contrôle des finances et des biens publics. À ce titre, elle vérifie et contrôle toutes les opérations financières de l’État, des entités administratives décentralisées, des établissements publics et organismes paraétatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant du concours financier de l’État, des entités administratives décentralisées et des établissements publics ou organismes paraétatiques sous une forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie » et pour le 2bis « L’Inspection générale des finances, en tant que service d’audit supérieur du gouvernement, peut procéder à toute mission de contre-vérification, au second degré, de toutes les situations douanières, fiscales ou parafiscales des contribuables ou redevables d’impôts, droits, taxes ou redevances, soit en cas de découverte d’une fraude lors de l’exécution normale d’une mission de contrôle ou de vérification, soit sur réquisition des autorités politiques et administratives, soit sur réquisition des autorités judiciaires, soit, enfin, sur dénonciation des tiers ».
Ainsi, un service du Président de la République – personnalité investie de la prérogative essentielle de veiller au respect de la Constitution – viole délibérément la Loi fondamentale en matière de présomption d’innocence et réduit son activité à traquer les délinquants financiers, expression n’apparaissant nulle part dans l’ordonnance précitée.
Plus de doute : on est dans une chasse aux sorcières ordonnée. Les Cours et tribunaux sont comme invités à prendre conscience de l’existence, en RDC, d’une Igf simplement bras séculier.

Barnabé KIKAYA Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
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