Processus de Nairobi : Échec programmé !

La date du 28 avril 2022 est à retenir comme celle de la clôture de la première phase du processus engagé sous la facilitation du président kényan Uhuru Kenyatta avec comme protagonistes, d’un côté, la task force de la présidence de la République démocratique du Congo mise sur pied par Félix Tshisekedi sans y associer le Premier ministre Sama Lukonde, ni l’un des ministers Warriors, et, d’autre part, une trentaine de groupes armés ayant répondu à l’invitation leur lancée…
METTRE LA BARRE TRÈS HAUT…
Depuis le 21 avril 2022, le curseur de la sécurité à l’Est s’est déplacé de Kinshasa pour Nairobi.
C’est, en effet, dans la capitale du Kenya qu’en marge de l’adhésion de la RDC à EAC (East Africa Communauty ou Communauté économique d’Afrique de l’Est) la question sécuritaire se traite maintenant puisqu’un deuxième round est annoncé pour juin prochain.
Là où la Cirgl, la Sadc et la Cééac ont été amenées à l’échec par des puissances extérieures, l’Eac pourrait peut-être faire mieux par la volonté des mêmes puissances en repenties.
Le souhait de tous les Congolais est que la paix revienne à l’Est, d’autant plus que les solutions préconisées jusqu’à ce jour (affrontements directs entre Fardc et groupes armés, proclamation de l’état de siège, instauration de la mutualisation des forces) ont étalé leurs limites.
En proclamant la reddition des groupes armés congolais et le retour des groupes armés ougandais, rwandais et burundais de façon inconditionnelle, la RDC a certainement mis la barre très haut pour probablement faire des concessions qui lui garantissent suffisamment de marges de manœuvres le moment venu.
C’est le propre de toutes les négociations, pourparlers, échanges entre protagonistes…
LOGIQUE DE LA VIOLATION DE LA CONSTITUTION
Il y a toutefois lieu de redouter la suite des événements en ce que la task force montée précipitamment pour négocier avec les chefs des groupes armés congolais n’a pas d’existence légale. Sauf secret d’État, aucune ordonnance promulguée par le chef de l’État, ni une lettre signée du directeur de cabinet n’a été produite au cours des échanges. D’ailleurs, et c’est là le pire, la présidence de la République n’est pas une institution. C’est juste un service administratif sans pouvoir de décision sur quelque sujet engageant formellement l’État.
Or, la question sécuritaire relève, elle, de la compétence exclusive de l’État. Et là-dessus, la Constitution congolaise classe les domaines de collaboration entre le président de la République et le gouvernement, au même titre que les Affaires étrangères et la Défense. Encore que la même Constitution reconnaît au seul gouvernement le contrôle de l’armée, de la police et de la sécurité.
LOGIQUE DE LA DISTRACTION
A Nairobi – cela apparaît clairement aux yeux de l’opinion lorsqu’on suit les médias – le gouvernement n’est pas formellement engagé dans le processus enclenché en vue d’approcher les groupes armés.
En plus, l’Assemblée nationale s’est auto désarmée en ce qu’elle s’est fait muette alors qu’elle doit interpeller le gouvernement appelé à lui rendre compte. C’est de cette façon qu’on doit comprendre la phrase ” Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale dans les conditions prévues aux articles 90, 100, 146 et 147 “.
Déjà, le processus de Nairobi s’insère dans le cadre de l’adhésion de la RDC à l’Eac. L’acte d’adhésion se matérialise par la ratification par l’Assemblée nationale.
Ainsi, pendant qu’on distrait les Congolais autour de la loi électorale controversée, il vient de se consommer à Nairobi la violation délibérée de la constitution.
A quelles fins ?
LOGIQUE DU CHANTAGE, DE LA TERREUR
Pour l’instant, un piège est en train d’être tissé malicieusement avec pour finalité de se refermer sur le Congo.
En effet, le premier acquis du processus de Nairobi n’est ni la reddition des groupes armés congolais, ni le retour des groupes burundais, rwandais et ougandais, comme d’aucuns le pensent.
Cet acquis, c’est la sale besogne refilée à Kinshasa : la mise sur pied et le commandement de la brigade régionale appelée à sécuriser et à pacifier les pays membres de l’Eac, de la Sadc, de la Cééac et de la Cirgl cités comme belligérants. Ils ont trouvé un terme enjoliveur pour faire avaler les couleuvres : leadership !
En vérité, il est demandé à la RDC de prendre en mains la sécurité dans les Grands-Lacs.
Désormais, c’est à Kinshasa de solliciter des pays de la région des troupes devant constituer la brigade régionale.
Désormais, c’est à Kinshasa de proposer la logistique en équipements militaires et divers (véhicules, armes, munitions, uniformes, rations, médicaments, soldes etc.).
Désormais, c’est à Kinshasa de confectionner les plans de guerre pour neutraliser les groupes armés nationaux et étrangers.
Bref, désormais, c’est à Kinshasa, via les Fardc, la Pnc et la Sécurité, de préparer ce que sera la traque des groupes armés récalcitrants, cela sous les regards embarrassés de la Monusco, y compris la brigade d’intervention africaine (Tanzanie, Malawi et Afrique du Sud).
Est-ce que la RDC est-elle en mesure de relever pareil défi ? A cette question, s’ajoute une autre : est-ce qu’à l’intérieur du pays, y a-t-il suffisamment de cohésion nationale pour amener le peuple à en payer le prix pendant que l’affaire, elle, se boutique en informel entre task force de la présidence de la République et des groupes armés congolais ?
A moins de le présenter pour ce qu’il est, à savoir une rencontre de prise de contact en vue des négociations formelles à venir, le processus de Nairobi n’a aucune base légale ni légitime.
Aussi, aucune logique – sauf celle du chantage ou de la terreur – ne justifie l’approche adoptée de décréter la reddition et le retour inconditionnels des groupes armés congolais pour la première et ougando-rwando-burundais pour le second.
Au fait, pendant qu’on y est, on devrait tout de même se demander ce qui adviendraient des élections de 2023 si les opérations de la brigade régionale venaient, juste un exemple, à s’enliser !

Barnabé KIKAYA Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
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