LA GUERRE D’UKRAINE vs LA CRISE DES GRANDS LACS

- Un mois après l’enclenchement de la guerre d’Ukraine (24 février-24 mars 2022), on peut tenter l’exercice d’une comparaison avec la situation qui prévaut dans les Grands Lacs africains depuis 1960, sous-région qui nous concerne en premier, nous Congolais. Pas particulièrement du point de vue de l’armement, quand bien même celui-ci est à la base des déplacements massifs d’Ukrainiens, des destructions d’infrastructures économiques, sociales et militaires. Contentons-nous de l’aspect socioculturel.
- A l’heure du premier bilan, sur une population estimée à 41.290.000 d’habitants, quasiment 3.500.000 sont à considérer comme des réfugiés à part entière, tant il est difficile pour l’instant de parler de déplacés de guerre.
- Depuis le début de celle-ci, l’image qui correspond à celle des Congolais fuyant les atrocités est celle des femmes et enfants en colonnes, baluchons sur la tête, enfants de bas âge soit au dos de leurs mères ou aux bras de leurs pères, soit courant après des parents en débandade, pendant que grondent des armes lourdes. En Ukraine, la sirène sonne pendant 20 secondes pour annoncer tout bombardement. Chez nous, on attaque directement la population civile.
- La guerre d’Ukraine a d’emblée un enseignement à tirer et à retenir : l’Europe des 27 Etats membres de l’Union européenne découvre pour la première fois depuis la Seconde guerre la tragédie réelle des victimes civiles de la guerre.
- Deuxième enseignement : quand, pour les Grands-Lacs, des réunions tirent en longueur au niveau des Nations Unies et de l’Union européenne pour voler au secours des déplacés et des réfugiés de guerre, pour l’Ukraine, c’est l’inverse qui se produit : des réunions se multiplient pour accroître l’aide humanitaire. Des pays européens semblent même se livrer à une sorte de concurrence pour prouver chacun sa solidarité avec les Ukrainiens.
- Juste un exemple : à elle seule, la France a acheminé le 23 mars dernier 1.171 tonnes de dons de tous genres destinés aux ukrainiens réfugiés en Roumanie.
- Mieux, sur son site web, le Haut Commissariat aux Réfugiés a lancé pour les réfugiés ukrainiens un programme spécifique dont on ne trouve pas d’équivalent dans les Grands Lacs. Par exemple la campagne #Placedispo. ” Si vous avez un endroit où loger temporairement un réfugié ukrainien, vous pouvez en informer votre municipalité “, y déclare-t-on.
- Ou encore la campagne ” Devenez parrain ou bénévole “. Il y est question de s’y inscrire, le parrainage étant considéré comme ” un outil complémentaire de l’intégration pour les réfugiés et les primo-arrivant’ “.
- Parmi les dons, sont cités des vêtements, des couvertures, des produits non périssables, cas des médicaments et certains types d’aliments.
- Ceci à l’arrivée dans les pays frontaliers déjà membres de l’Otan. Cas de la Pologne, de la Roumanie et de la Hongrie.
- Pourquoi cependant, à la sortie, les Ukrainiens en fuite ont moins des problèmes d’intégration comparés aux Congolais se trouvant dans la même situation dans la sous-région des Grands Lacs ?
- La réponse est dans l’intégration économique et sociale.
- En effet, les Ukrainiens trouvent à leurs frontières des voies et des moyens de locomotion transfrontaliers disponibles : routes nationales (donc automobiles), chemins de fer (donc trains), ports (donc bateaux), aéroports (donc avions), etc.
- Les pays des Grands Lacs – comme du reste tous les pays africains – n’ont pas à leurs frontières toutes ces infrastructures.
- Ils se singularisent toutefois par la présence des populations transfrontalières ayant la même langue et pratiquant les mêmes coutumes et traditions.
- Contrairement au discours précolonial, colonial et malheureusement post-colonial, ces populations n’ont pas la culture de se battre. Elles ont toutes celle de l’arbre à palabres.
- Mais pourquoi ces pays ne parviennent-ils pas à entretenir la coexistence pacifique entre leurs populations, de façon à atteindre l’objectif premier, celui du développement intégré ?
- Ils savent pourtant qu’ils ne peuvent y parvenir que par le dialogue permanent, le dialogue rassurant. Et ce type de dialogue n’est possible que lorsque le Pouvoir et l’Opposition, dans chacun des Etats voisins disposant des populations transfrontalières, se font mutuellement confiance dans la gestion des enjeux diplomatiques de la sous-région.
- L’alternance politique a ceci de particulier que le sabotage, aujourd’hui, des efforts du Pouvoir pour restaurer la paix quand on est dans l’Opposition devient un piège lorsque soit même on accède aux affaires.
- A la prochaine…

Barnabé KIKAYA Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.
www.kikayabinkarubi.net | Twitter: @kikayabinkarubi