Notre relation avec le continent africain est-elle au beau fixe?
Notre relation avec le continent africain est-elle au beau fixe ? C’est ce que devrait en principe nous révéler le sixième Sommet Union européenne‑Union africaine qui se tiendra dans notre capitale les 17 et 18 février prochains.
Avec pour ambition de confronter les priorités des deux continents, il s’agira du premier sommet organisé depuis 2017.Dans sa communication «Vers une stratégie globale avec l’Afrique», la Commission européenne lui fixe comme objectif de travailler sur cinq tendances mondiales clés : la transition verte, la transformation numérique, la croissance durable, la gouvernance et la migration.

Ce sommet semble toutefois déjà mis à mal avant même d’avoir commencé : de nombreux chefs d’États africains ne seront pas présents à l’instar du Premier Ministre malien Choguel Maïga récemment interdit d’entrée sur le territoire de l’UE.
À l’aune de la montée en puissance des pouvoirs militaires tout le long de la bande sahélienne, depuis l’Ouest à la Corne de l’Afrique, les démocraties d’Afrique centrale sont fragilisées de facto par cettenouvelle ligne de front. En effet, face à la menace sécuritaire, une insatisfaction trop forte des populations de ces pays risque de discréditer les gouvernements civils au profit des juntes militaires. Dans ce contexte, plusieurs observateurs de premier plan ont déjà exprimé leurs craintes que le sommet ne produise rien d’autre que de « grandes déclarations d’intention », alors que la relation Europe-Afrique, obnubilée par la question migratoire, a déjà subi bien des avanies. Les populations de plus de la moitié des 54 pays d’Afrique doubleront d’ici 2050.
Pour éviter l’échec de ce sommet, trois éléments doivent absolument être mis sur la table: la perspective du défi démographique, les défis sécuritaires face à la multiplication des coups d’États et d’activités insurrectionnelles, et enfin les opportunités de partenariatscréées par la crise pandémique. Via ces trois thématiques, il est temps de réinventer notre relation avec les Africains.
Défi démographique
La démographie africaine restera au cœur de l’évolution des affaires internationales dans les prochaines décennies. Cette croissance démographique sans précédent aura un impact géopolitique significatif.
Les populations de plus de la moitié des 54 pays d’Afrique doubleront d’ici 2050, grâce à une fécondité élevée et à l’amélioration des taux de mortalité infantile. Environ 40% de tous les enfants nés dans le monde seront africains au cours de la décennie 2040. De plus en plus de perspectives économiques apparaissent pour les jeunes sur le continent, mais les États africains parviendront-ils à répondre pleinement aux expectatives de cette jeunesse ?
Ce constat renforce la nécessité de placer la jeunesse africaine au cœur de la relation Europe-Afrique, et ce dans une démarche de partenariat positif qui s’appuie sur le respect mutuel, la confiance, et l’absence de paternalisme mal placé.
Sécurité
Par ailleurs, la question sécuritaire sera difficile à éviter lors du sommet. Le récent coup d’État au Burkina Faso nous rappelle la fragilité particulière de l’Afrique subsaharienne. Rien que dans ce pays, le nombre de déplacés est passé à plus de 1,5 million cette année. Au Mali, le nombre de déplacés a doublé entre 2020 et 2021, passant de 200 000 à près de 400 000 personnes. L’an dernier, 28 casques bleus y ont perdu la vie. Malgré les sanctions récentes de la CEDEAO à l’encontre du régime du Colonel Goïta, les conditions de maintien de la présence militaire européenne et onusienne nous pose question, comme en témoigne le départ récent des Danois et les dissensions qui en ont suivi.
L’impéritie de l’Europe à répondre de façon adéquate à ce défi sécuritaire reste regrettable. En revanche, Pékin et Moscou saisissent cette opportunité pour se positionner en protecteur des souverainetés africaines face au néo-colonialisme. Pour redorer notre image auprès du continent africain, c’est plutôt notre capacité à redire notre engagement à œuvrer sur les bases d’une relation co-construite d’appui mutuel qui peut faire la différence. J’ai toujours soutenu qu’il est crucial de démontrer à nos partenaires africains notre aptitude à travailler à d’autres fins que celles de la recherche d’opportunités à sens unique.
Opportunités
Pour terminer sur une note positive, il convient de souligner que l’Afrique présente aujourd’hui énormément de nouvelles opportunités de partenariat. La pandémie constitue, en effet, l’occasion de réitérer notre disponibilité pour réactiver et intensifier le travail dans un grand nombre de domaines, particulièrement celui de la protection sociale.
Face à la crise sanitaire, de nombreux pays africains ont repris pleinement leur destin en main et fait preuve d’une solidarité qui mérite d’être saluée. Citons par exemple le Maroc, qui a mis en place un fonds spécial dédié au soutien de l’économie lors du premier confinement. Ce fonds, financé par le budget de l’État, a aidé à financer un revenu universel pour les travailleurs formels et informels pour un montant de 80 à 200 dollars par mois. Le Rwanda a également mis au point un fonds de soutien pour atténuer l’impact du confinement. En termes de résilience, ces exemples démontrent que certains États africains ont une capacité à mettre en place des mécanismes de protection sociale. Avec une longue expérience en la matière, l’Europe pourrait clairement proposer ici un accompagnement robuste tout en reformulant ses engagements de partenariat. Il est aujourd’hui impératif de passer de la relation donateur-bénéficiaire à un partenariat entre égaux, sur la base du respect mutuel et de l’absence d’ingérence dans les affaires intérieures.
Enfin, nous nous devons de souligner la nécessité de sortir du prisme Nord/Sud. Aujourd’hui, la communauté mondiale est confrontée à un défi commun qui exige une réponse politique globale: la question de la dette publique s’avérera explosive non seulement en Afrique, mais également en Europe. La pandémie a accéléré les inégalités. Un nouveau monde nous attend, avec une nouvelle configuration de l’économie internationale. Il est donc aujourd’hui impératif de passer de la relation donateur-bénéficiaire à un partenariat entre égaux, sur la base du respect mutuel et de l’absence d’ingérence dans les affaires intérieures.
Il est aujourd’hui temps de veiller à ce que l’Europe ne regarde pas l’Afrique avec un regard de charité, mais bien avec un principe de solidarité. Il est aujourd’hui temps de renouveler le récit de notre relation bilatérale marqué par un passé colonial. Il est aujourd’hui temps de sculpter les charpentes d’un partenariat équitable, positif, juste, et surtout solidaire entre l’Europe et l’Afrique.
André Flahaut, Député fédéral – Ministre d’État sur https://www.lecho.be/opinions/general/notre-relation-avec-le-continent-africain-est-elle-au-beau-fixe/10366709.html