RDC : pourquoi Félix Tshisekedi accentue la pression sur les Kabila

Après que le départ de Joseph Kabila en Afrique du Sud a été retardé par les services de renseignements, le passeport de son frère a été temporairement saisi. Un contexte tendu qui éclaire un peu plus la disgrâce de François Beya. Explications.
L’Agence nationale de renseignements (ANR), dirigée par Jean-Hervé Mbelu Biosha, a de nouveau ciblé un membre de la famille de l’ancien président. Le 9 février, à l’aéroport international de Kinshasa-Ndjili, Zoé Kabila a été empêché d’embarquer à bord d’un avion affrété par South African Airways. Il devait se rendre à Johannesburg, où résident son épouse et ses enfants et où séjourne son frère aîné depuis le 25 janvier. Contrairement aux rumeurs, il n’en a pas été débarqué.À LIRERDC : le récit de la disgrâce de François Beya, le « monsieur sécurité » de Félix Tshisekedi
Selon nos informations, un directeur de la Direction générale de migration (DGM), dirigée par Roland Kashwantale, a convoqué dans son bureau Zoé Kabila alors qu’il effectuait ses formalités et l’a informé qu’il ne pouvait pas voyager dans l’immédiat. Une instruction qui, a-t-il précisé, lui venait du numéro un de l’ANR. Selon les proches de Zoé Kabila, la DGM a alors saisi son passeport ordinaire – ce que celle-ci, contactée par Jeune Afrique, dément formellement.
Sentiment « anti-Kabila »
Il n’empêche que le lendemain, l’ex-gouverneur du Tanganyika s’est rendu dans les locaux des services de renseignements afin de connaître les raisons de cette procédure. L’ANR n’en a en effet rien laissé filtrer. Après un entretien avec Mbelu Biosha, il a fini par récupérer son document de voyage. « Il ne s’est rien dit de grave », a-t-il précisé à ses proches.
Fin janvier, c’est Joseph Kabila qui avait dû retarder son déplacement en Afrique du Sud. Comme l’avait révélé Jeune Afrique, l’ancien président n’avait été autorisé à décoller que le 25 janvier, soit quatre jours après avoir formulé sa demande auprès de l’ANR. Jean-Hervé Mbelu Biosha, qui rend directement compte à Félix Tshisekedi, accorde désormais les autorisations d’entrée ou de sortie du territoire aux jets privés – une prérogative encore dévolue, il y a quelques semaines, à François Beya, alors conseiller spécial en matière de sécurité du président. Selon nos informations, Kabila a obtenu dans la matinée du 11 février l’accord de l’Agence pour atterrir en RDC. Il devrait rentrer après avoir effectué un check-up médical et s’être inscrit en troisième cycle à l’Université de Johannesburg.À LIRERDC : dix choses à savoir sur François Beya, l’homme clé du système Tshisekedi
Dans l’entourage du chef de l’État, un sentiment anti-Kabila ne cesse d’enfler. Ses collaborateurs se questionnent beaucoup sur les fréquents voyages de l’ex-président en Afrique du Sud, où plusieurs de ses proches, dont son ancien conseiller diplomatique, Kikaya Bin Karubi, ont des attaches. Ils le soupçonnent fortement « de tout faire pour tenter de déstabiliser le régime. »
« La stratégie est de faire en sorte qu’il soit sur le qui-vive », confie une source proche du premier cercle présidentiel.
LES ENQUÊTEURS DISPOSENT D’INDICES SÉRIEUX ATTESTANT D’AGISSEMENTS CONTRE LA SÉCURITÉ NATIONALE
Par ailleurs, les prises de position de François Beya dans la gestion du « cas Kabila », jugées trop favorables à ce dernier, auraient contribué à sa chute. Il entretenait des relations conflictuelles avec des membres influents du cabinet du président, dont le conseiller privé Fortunat Biselele. Mais les collaborateurs de Félix Tshisekedi estiment aussi qu’il est resté loyal à l’ancien chef de l’État, dont il est proche – il fut longtemps le patron de la DGM lorsque Kabila était au pouvoir.
« On peut affirmer que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale. Les enquêtes se poursuivent », a précisé le porte-parole de la présidence au sujet de l’arrestation, le 5 février, de l’ex-« monsieur sécurité », toujours entendu par l’ANR.
Coïncidence ? Quelques jours auparavant, le 28 janvier, Félix Tshisekedi s’était entretenu avec Daleep Singh, le conseiller adjoint à la sécurité du président américain, Joe Biden.
Jaynet Kabila visée elle aussi
En octobre 2021, Zoé Kabila a par ailleurs rencontré des difficultés immobilières. Des éléments du bataillon de police militaire des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avaient tenté, sans succès, d’évacuer un bâtiment de Kinshasa qui abrite Katanga Premier SARL, l’une de ses sociétés. L’ex-gouverneur disait en être le propriétaire, mais cet immeuble aurait été attribué à titre de logement de fonction au ministre de la Défense nationale, Gilbert Kabanda Kurhenga. En Afrique du Sud, il avait alors appelé à la rescousse sa sœur, la députée nationale Jaynet Kabila.À LIRERDC : les déboires immobiliers de Zoé Kabila
Et, en janvier 2020, la jumelle de Joseph Kabila avait été débarquée par un agent de la DGM d’un avion qui s’apprêtait à s’envoler pour… l’Afrique du Sud. Elle avait été soumise à un contrôle et à un interrogatoire de plusieurs minutes, avant que des officiers ne la raccompagnent à bord. L’agent qui avait procédé à cette interpellation avait été auditionné par le Conseil national de sécurité (CNS), alors coordonné par François Beya.
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