RDC : au côté de Tshisekedi, Sama Lukonde a-t-il les mains libres ?

Nommé à la suite du divorce entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, le nouveau Premier ministre peine à s’affirmer face à un président qui concentre les pouvoirs. Décryptage.
Mercredi 4 août, dans les jardins de la primature, à Kinshasa. Président de la république, Premier ministre, membres du gouvernement et invités – dont les deux présidents du Parlement – assistent, religieusement et sous les tentes dressées pour l’occasion, à la messe d’action de grâce organisée par la primature pour les cent premiers jours de l’équipe de Jean Michel Sama Lukonde. L’événement n’est pas anodin : jamais un Premier ministre n’avait organisé pareille célébration.
Mais Sama Lukonde a tenu à rappeler sa source d’inspiration. « Ici, c’est un exemple que nous suivons. Celui de son Excellence Félix Antoine Tshisekedi qui, à son entrée en fonctions, a consacré le pays à Dieu. Et nous, dans notre action gouvernementale, nous revenons nous ressourcer entre les mains du Très Haut en lui rendant grâce pour ce qu’il a permis d’être accompli depuis notre avènement », a-t-il déclaré.
« Sagesse et stratégie »
Jean Michel Sama Lukonde Kyenge, 44 ans, n’ignore rien du contexte de sa nomination, survenue à un moment où Félix Tshisekedi affichait sa volonté d’asseoir son autorité sur l’appareil d’État après deux années de gestion partagée avec l’ancien chef de l’État Joseph Kabila et ses lieutenants. Depuis l’investiture de son gouvernement, il s’attelle avec « sagesse et stratégie », selon son entourage, à travailler main dans la main avec le président de la République. Question de prudence.
Le nouveau Premier ministre a peut-être en tête le bras de fer engagé par son prédécesseur, Sylvestre Ilunga Ilukamba. Celui-ci avait publiquement pris position contre des ordonnances du chef de l’État – annoncées « à sa grande surprise » et qui ne portaient pas sa contresignature – actant des nominations dans l’armée et dans la justice et écartant notamment le général John Numbi. Le couac de trop au sein d’une coalition qui avait fini par éclater.
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Félix Tshisekedi a-t-il choisi Sama Lukonde Kyenge pour ne pas revivre une telle tension, persuadé que ce dernier n’oserait le défier ? Le président a surtout privilégié une personnalité issue du Grand Katanga pour répondre au mécontentement d’une partie de l’élite politique de la province, qui craignait sa mise à l’écart après la rupture de l’alliance avec Kabila et l’éviction d’Ilunga Ilunkamba, lui aussi Katangais.
« Auxiliaire de Tshisekedi »
Fils de Stéphane Lukonde Kyenge, figure de la scène politique katangaise assassiné en 2001, Sama Lukonde Kyenge se lance en politique en 2003 et remporte trois ans plus tard un siège de député national dans la circonscription de Likasi (Haut-Katanga). Membre peu bavard du parti Avenir du Congo (ACO) – dont le président, Dany Banza, est aujourd’hui ambassadeur itinérant de Félix Tshisekedi –, il devient en 2014 ministre des Sports de Joseph Kabila mais démissionne en 2015 pour respecter le mot d’ordre de sa formation politique, qui s’opposait à un éventuel troisième mandat de l’ancien président.
SAMA LUKONDE NÉGOCIE SA LONGÉVITÉ À SON POSTE PAR SA LOYAUTÉ ET SON ALLÉGEANCE
Ex-membre du G7 de Moïse Katumbi, qu’il a quitté avec le parti ACO pour rejoindre Félix Tshisekedi avant l’élection présidentielle de 2018, Sama Lukonde Kyenge était déjà au cœur de la stratégie du président congolais depuis son arrivée au pouvoir. En juin 2019, il avait ainsi été nommé au poste de directeur général de la Gécamines. Sa promotion avait d’ailleurs provoqué la colère du camp Kabila, qui voyait dans ce choix une volonté de contrer l’influence d’Albert Yuma, proche de l’ancien président et tout-puissant président du conseil d’administration de l’opérateur minier public depuis 2010.
Selon son entourage, le chef de l’État a fait avec Sama Lukonde le choix « du renouvellement de la classe politique », mais surtout « d’un homme intègre qui va se mettre au service de la vision de Félix Tshisekedi ». Du fait de l’influence politique modeste de son chef de gouvernement – son parti, ACO, n’est pas un poids lourd de l’Union sacrée –, le président congolais a aussi moins de raison de craindre les éventuelles ambitions de son Premier ministre.
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À la présidence, on constate avec plaisir la propension du Premier ministre à ne pas chercher à faire ombrage au chef de l’État. Mais selon un analyste politique avisé, le chef du gouvernement n’a de toute façon pas de « possibilité réelle d’affirmer son autorité sur les membres de l’équipe gouvernementale ». Félix Tshisekedi exerce même une influence directe sur certains d’entre eux, faisant partie de son propre sérail, tels que le ministre des Finances Nicolas Kazadi. La proximité de ce dernier avec le président lui assure d’ailleurs une influence et une autonomie non négligeable par rapport au Premier ministre.
La ligne de Jean Michel Sama Lukonde est en réalité celle du président, y compris sur des matières relevant des prérogatives constitutionnelles du Premier ministre. « Dans la pratique, Sama Lukonde passe, en dépit des prescrits constitutionnels, pour un auxiliaire du chef de l’État, explique à JAun membre du gouvernement qui a requis l’anonymat. Il négocie sa longévité à son poste par sa loyauté et son allégeance », ajoute notre source au gouvernement.
François Muamba, véritable Premier ministre ?
La primature voit également sa capacité d’action réduite par l’existence du Conseil présidentiel de veille stratégique (CPVS). Véritable organe de surveillance des ministres et de leur chef créé durant la période de cohabitation avec Joseph Kabila, ce service a pour mission de suivre les engagements du président de la République et leur application par le gouvernement. Il est dirigé par un des plus influents conseillers du chef de l’État, François Muamba, qui occupe aujourd’hui une place inédite au sein des institutions nationales. L’ordonnance présidentielle relative à son organisation précise que le CPVS « est placé sous l’autorité directe du président de la République, de qui il reçoit les orientations, directives et instructions et à qui il rend compte de sa mission ». Une architecture qui le place de fait au même niveau que la primature, lui permettant même de convoquer les membres du gouvernement et d’exiger auprès d’eux des rapports d’activités.
« Aucune mention n’existe quant aux modalités juridiques ou pratiques de collaboration entre le CPVS et la primature », regrette un autre membre de l’exécutif. À l’ouverture du séminaire du gouvernement, le 22 juillet dernier, Tshiskedi a quoi qu’il en soit demandé à tous ses membres de collaborer avec le Conseil présidentiel.
TSHISEKEDI SEMBLE TOUJOURS DÉTERMINÉ À GÉRER LUI-MÊME DE NOMBREUX DOSSIERS
La stratégie de concentrer beaucoup de pouvoirs à la présidence n’est pas nouvelle pour Félix Tshisekedi. Au tout début de son mandat, pour occuper le terrain pendant les négociations avec le camp Kabila autour de la composition du gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le chef de l’État congolais avait considérablement renforcé la présidence, créant au passage plusieurs collèges de conseillers ainsi que de nouvelles structures pour contrebalancer l’influence d’un gouvernement au sein duquel son camp politique allait être minoritaire.
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S’il a aujourd’hui repris pleinement la main sur la majorité avec la création de l’Union sacrée, il semble toujours déterminé à gérer lui-même de nombreux dossiers. Le projet Grand Inga, la construction du port en eau profonde de Banana et de la nouvelle cité Kitoko, ou encore les allègements fiscaux des concessionnaires des services publics de télécommunications sont gérés au niveau de la présidence. Le Premier ministre et son gouvernement ne sont associés qu’au moment de leur officialisation…
Par Stanis Bujakera Tshiamala sur https://www.jeuneafrique.com/1216367/politique/rdc-au-cote-de-tshisekedi-sama-lukonde-a-t-il-les-mains-libres/?utm_source=newsletter-ja-actu-v4&utm_campaign=newsletter-ja-actu-v4-13-08-2021&utm_medium=email&utm_content=article_1