Israël Mutombo : une solidarité mécanique

Hallucinante, cette solidarité mécanique qui se construit autour d’Israël Mutombo, infirmier qui se veut journaliste, détenteur d’une carte de presse lui délivrée, semble-t-il, par l’Union Nationale de la Presse du Congo. A l’allure où vont les choses, nous ne serons pas étonnés de voir un tradi-praticien détenir une carte de médecin lui délivrée par l’Ordre des médecins ou un garagiste, défenseur des droits des mécaniciens, détenir une carte d’avocat lui délivrée par le barreau de la Gombe ou de Matete…

Etudiant, des sommités de la presse nationale de la trempe de Malembe Tamandiang, Ramazani Baya ou encore Mutiri wa Bashara nous ont fait rêver. Quand je pose la question aux jeunes qui aspirent à devenir journalistes aujourd’hui, ils disent qu’ils ont été inspirés par, entre autres, Kasongo Mwema Tharcisse, Kibambi Shintwa, Chantal Kanyimbo, Geneviève Inagosi ou ceux de la génération plus récente des Guy Matundu, Nicole Dibambu et Blaise Bokokia. Tous ces noms ont une référence dans le métier, ayant été formés dans des écoles de journalisme.

UNPC – contraction de « Union Nationale de la Presse du Congo » – est l’organisation faîtière, la tutelle des professionnels des médias en République Démocratique du Congo. Créée en 1971 sous le régime Mpr devenu Mpr Parti-Etat, elle a célébré le 23 mars 2021 ses 50 ans d’existence. Elle est l’unique institution habilitée à délivrer la carte nationale de presse reconnue au pays et à l’étranger pour tout journaliste congolais œuvrant au pays…

Parmi ses organes, figure la Commission de discipline et d’éthique professionnelle faisant office de tribunal des pairs ayant en charge la compétence de juger les membres pour des délits constatés et dénoncés et de leur appliquer des sanctions décidées.

Généralement, ce tribunal a tendance à épargner des poursuites judiciaires ses membres, ce qui est humainement et professionnellement compréhensible. Mais, il est aussi conscient du fait de ne pouvoir se substituer à l’organe de la loi, surtout lorsqu’il y a imputations dommageables graves.

C’est le cas avec l’affaire « Cartes bancaires Visa » révélée par le you-tubeur Israël Mutombo, promoteur et présentateur de ” Bosolo na Politik “.

« LA PRESSE CONGOLAISE EST A LA PORTE DE L’APOCALYPSE »

Cette affaire a pris une ampleur telle que la corporation en est elle-même affectée, divisée. De quoi renvoyer tout membre de l’Unpc à la déclaration du président intérimaire Gaby Kuba Bekanga lors du lancement des activités de l’année jubilaire. « L’UNPC place le cinquantenaire sous le signe de la remise en question de notre profession, une autoévaluation et un examen de conscience. Un questionnement s’impose : d’où venons- nous ? Où sommes-nous ? et où allons-nous ? Pour répondre à ces interrogations, il faut absolument écarter le caractère festif et faire des réflexions profondes », s’est-il interrogé avant de larguer cet explosif sur la corporation : « Notre presse a atteint l’Himalaya du cynisme et de la démence où la célébrité ne rime presque plus avec l’excellence mais plutôt avec la médiocrité. La presse congolaise est à la porte de l’apocalypse ».

De mémoire de journaliste de profession et de professeur d’université, c’est pour la première fois qu’un professionnel des médias congolais se retrouve avec, à la fois, tant de plaignants pour une même affaire.

Dès l’instant où ses investigations (!) lui ont révélé l’existence d’une affaire de cette ampleur et le statut des personnalités impliquées, tout journaliste bien formé, donc avisé parce que prudent, se devait de prendre l’autre son de cloche, quitte à constater leur silence.

Combien sont-ils, les proches de Joseph Kabila à avoir été contactés par Israël Mutombo ? Ce dernier ne pourra jamais prouver la moindre initiative de rapprochement de MM. Aubin Minaku, Emmanuel Shadary, José Sele, Pépin Guillaume Manjolo et Barnabé Kikaya bin Karubi pour en savoir plus avant de larguer son scoop.

Hélas !, on a vu des médias réputés pour leur rigueur dans le traitement des informations récupérer à leur compte ce faux scoop, quand même les éléments révélés suscitaient le doute. On a entendu le président intérimaire de l’Unpc manifester sa solidarité à l’égard d’Israël Mutombo. Heureusement qu’il y a eu un ressaisissement.

SOLIDARITE MECANIQUE

Emile Durkheim dans son ouvrage « De la division du travail social », décrit la solidarité mécanique comme un type de lien social caractéristique de la société traditionnelle, primitive, archaïque qui rassemble des individus sur des bases communautaires et des similitudes de croyances. Les sociétés modernes, quant à elles, fonctionnent sur base d’une solidarité organique caractérisée par des liens sociaux entre individus au sein des sociétés modernes, industrielles où les consciences individuelles ne sont pas soumises aux contraintes imposées par les sociétés traditionnelles.

Ce que l’opinion a le devoir de comprendre, c’est que la gravité des imputations dommageables autorise les victimes de faire le choix de solliciter l’intervention du tribunal des pairs de l’Unpc ou de s’en remettre aux instances judiciaires. La première option serait de mise si Israël Mutombo avait fait preuve de modestie en présentant ses excuses. Ses accusations ayant été formulées dans son émission, c’est dans celle-ci que la rétractation devait se faire.

Or, l’opinion a suivi sa réaction méprisante à l’égard des victimes qui revendiquent pourtant leur droit à la dignité. Une réaction défiant les règles de la déontologie et de l’éthique.

A ce défi, les victimes, à leur corps défendant, ne peuvent opposer que le recours à la loi. Ce serait surprenant que même la jouissance de ce droit leur soit interdite au seul motif de solidarité entre confrères.

Cette solidarité là, aucune école de journalisme ne l’enseigne.

Barnabé Kikaya Bin Karubi

Ancien Député, Professeur, Université de KINSHASA, Faculté des Lettres, Département des Sciences de l’Information et de la Communication, Kinshasa, R.D. Congo.